La guerre en Ukraine semble être un retour vers la guerre froide. Or, celle-ci était principalement d’ordre idéologique. Aujourd’hui, c’est d’abord un conflit géopolitique majeur, remettant en cause la mondialisation libérale commencée après la chute du communisme soviétique.
Non, la crise ukrainienne n’est pas un retour à la guerre froide, mais c’est toujours un conflit Est-Ouest
No, the Ukrainian Crisis is not a Return to the Cold War but is Still an East-West Conflict
The war in Ukraine might appear to be a return to the Cold War, and yet it is principally ideological. Today, it is above all a major geopolitical conflict which is calling into question the liberal globalisation that started after the collapse of Soviet communism.
À propos de la guerre en Ukraine, les commentateurs évoquent souvent un retour à la guerre froide. Mais celle-ci se situait encore dans l’ère des idéologies universalistes, ouverte avec les révolutions américaine et française au XIXe siècle. Libéralisme et communisme étaient d’une certaine façon des frères ennemis, ou, pour Marx, des phases dialectiques de l’évolution de l’Humanité. Avant le triomphe des théories du totalitarisme, qui mettaient l’accent sur la proximité entre communisme, fascisme et nazisme, beaucoup d’acteurs et de commentateurs, jusqu’aux années 1960, pensaient que pour la Russie le communisme soviétique, par rapport au tsarisme et au passé culturel byzantin, représentait au fond une modernisation et une voie, certes très particulière, vers le modèle occidental. Le « Containment » proposé par George Kennan en 1946 devait, en résistant à la poussée soviétique, donner le temps nécessaire à cette transformation du régime, par le biais d’une indispensable et inéluctable libéralisation de son économie et de sa société (1).
Notons que l’idéologie communiste était presque une garantie de prudence : comme la victoire du communisme était « scientifiquement » inévitable, on pouvait se montrer progressif et patient. Staline était en effet hyperprudent, Khrouchtchev fut renvoyé pour son « aventurisme » dans la crise de Cuba. Poutine, lui, est un homme pressé…
Et il décide seul, alors que les responsables soviétiques, à partir de la mort de Staline, décidaient de façon « collégiale » et associaient les « partis-frères ». L’intervention en Hongrie en 1956 fit l’objet de vifs débats au sein du Politburo. D’abord, Moscou laissa la bride sur le cou aux dirigeants hongrois, avant de décider brusquement, le 4 novembre, d’intervenir brutalement. Pour la Tchécoslovaquie en 1968, l’intervention fut le résultat de semaines de débats au sein du Politburo et du pacte de Varsovie, de même pour l’Afghanistan en 1979, ou pour la Pologne en 1980 (où finalement l’armée russe n’intervint pas, la reprise en mains étant confiée aux dirigeants polonais). On restait dans un cadre politico-idéologique qui avait sa cohérence, et qui restait relativement prévisible : Solidarnosc échappa à l’intervention en 1980 parce que ses dirigeants surent tirer la leçon des interventions soviétiques précédentes, théorisées par la « doctrine Brejnev » de souveraineté limitée des États de la Communauté socialiste. La politique russe actuelle est beaucoup plus imprévisible, justement parce que le primat de l’idéologie a disparu.
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