Commentaire
Le thème de la prolifération nucléaire a pris dans la politique internationale une place démesurée si l’on considère la réalité des faits. À la base, cela est dû naturellement au cortège de terreur qui accompagne les armes nucléaires. Cette caractéristique, qui leur confère le pouvoir d’éviter les guerres, conduit également à souhaiter qu’elles ne se répandent pas, voire même pour certains, qu’elles disparaissent. Les puissances nucléaires y ajoutent leur désir de ne pas se voir rejointes par d’autres. La campagne de désinformation intervenue au moment de la guerre du Golfe — qui n’est pas innocente — a démesurément grandi l’impression de proximité du risque nucléaire. L’éclatement de l’URSS laisse plus légitimement redouter le risque de commerces incontrôlés.
Il est heureux que Roger Baieras — l’un des hommes les mieux placés pour témoigner sur ce sujet — se soit attaché à remettre les choses à leur place dans le remarquable article qui précède. On doit souhaiter que la réflexion politique y trouve les bases d’un raisonnement qui doit commencer par le courage.
Oui, il faut avoir le courage d’affirmer, et de rappeler en tant que de besoin, que les armes nucléaires ont pour fonction d’éviter les conflits d’importance mondiale, par leur seule existence accompagnée de leur non-emploi (dissuasion) : ce qu’elles ont réussi depuis plus de cinquante ans. Il est donc essentiel de les maintenir. Cela entraîne un certain nombre de conséquences.
En premier lieu la lutte contre la prolifération — qui vise à éviter le désordre que pourrait entraîner l’accroissement du nombre des puissances nucléaires — ne saurait en aucun cas emprunter des voies qui porteraient atteinte au dispositif actuel de la dissuasion. Nous ne pouvons par exemple suivre le Japon qui, officiellement du moins, souhaite la disparition complète des armes nucléaires.
En second lieu, qui dit maintien du dispositif actuel de dissuasion, dit aussi maintien du niveau de fiabilité et de sécurité des armes. Jim Schlesinger, ancien secrétaire à la Défense des États-Unis, écrivait dans le Wall Street Journal : « Des gens qui ne concevraient pas que leur tondeuse à gazon ne soit pas vérifiée au moins une fois par an soutiennent avec une apparence de sérieux que les armes nucléaires pourraient se passer de tests, et rester cependant fiables ».
Le maintien des armes nucléaires ne se conçoit que si — d’une façon ou d’une autre — on garde un minimum de possibilité de vérifier leur fiabilité et leur sûreté de fonctionnement. Pour l’instant, rien ne peut remplacer les essais pour ce faire.
Roger Baleras a eu raison de distinguer les deux niveaux d’armes nucléaires : les armes de première génération et les armes stratégiques modernes. Dans l’état actuel du monde, il paraît impossible que ces dernières ne restent pas réservées aux puissances nucléaires actuelles. Quant au premier niveau, pour toutes les raisons qu’indique l’auteur, il ne convient pas de succomber à la panique : le risque — qu’il ne faut pas favoriser — ne justifie en aucun cas la place qui lui a été concédée dans la politique internationale. Que les diplomaties reprennent leur sang-froid.