Afghanistan : Autopsie d’un désastre 2001-2021, Quelle leçon pour le Sahel ?
Afghanistan : Autopsie d’un désastre 2001-2021, Quelle leçon pour le Sahel ?
En 2021, les États-Unis et les derniers États-membres de l’Otan encore présents militairement quittaient l’Afghanistan. Suite à un accord à Doha en 2020, les Talibans reprennent les rênes du pays presque 20 ans après avoir été chassés du pouvoir. Un échec monumental au vu des milliards qu’ont coûté les opérations militaires après le 11 Septembre, l’accompagnement humanitaire et technique et les milliers de morts et de blessés de toutes parts. Le signal donné était détestable, avec des répercussions géopolitiques dans le monde entier, mais surtout avait pour conséquences un effondrement immédiat de l’économie afghane qui était sous perfusion, un nouvel exode des plus éduqués et des Talibans incapables de nourrir convenablement une population de 40 millions d’habitants, surtout dans une capitale réceptacle d’un exode rural depuis 2001.
Pour Serge Michailof, ce retentissant échec est le fruit de très nombreuses décisions, tant dans le pays qu’ailleurs en Asie ou aux États-Unis. L’auteur est bien placé pour en faire l’analyse, ayant occupé les fonctions de directeur des opérations à l’Agence française du développement (AFD, 2001-2004) et avoir été l’un des directeurs de la Banque mondiale (1993-2001). L’objectif du livre étant, comme un leitmotiv tout au long des 196 pages, de ne pas refaire les mêmes erreurs au Sahel. C’était avant les développements au Mali et au Niger…
Passé une petite introduction (qui mentionne notamment le grand nombre de jeunes qui arrivent chaque année sur le marché du travail en Afghanistan et que l’économie locale ne peut absorber), S. Michailof porte d’abord son regard sur la possibilité d’éviter la guerre en 2001. Son jugement est sans appel et se conclut par la négative, entre opinion publique étasunienne chauffée à blanc – après les attentats – qui a tout précipité (et empêché une négociation) et les déclarations diverses sur les objectifs de l’intervention. La conduite de la guerre a ensuite grandement été hypothéquée par la guerre en Irak (prioritaire et qui a drainé les ressources), l’incompréhension des Talibans par les Occidentaux, une coordination des troupes confinant à la voltige (deux opérations distinctes, des armées otaniennes avec de nombreux caveats, la rivalité Army/Marines, etc.), l’absence de stratégie de sortie et un désintérêt profond dans les premières années pour l’administration du pays, alors qu’il était encore possible de le sécuriser. Toutefois, le point le plus important reste le double jeu pakistanais et ceci dès le début : les Talibans sont leurs créatures. Ils en ont besoin et les protègent donc, en plus de les ravitailler. Or, les lignes logistiques étasuniennes passant par le Pakistan, il ne fallait donc pas trop exercer de pressions sous peine de difficultés supplémentaires.
Sur place règne la corruption généralisée et s’il n’a nullement été question de « Nation Building », le « State Building » a été très compliqué (p. 82). La police n’a jamais été assainie, la justice pas plus réformée, l’armée une illusion en très grande partie. La sélection des cadres, hors exceptions, n’a pas pu se départir du clanisme, du népotisme et des « commandants » locaux. Quand on peut acheter au Président un poste de gouverneur de province pour 100 000 dollars alors que le salaire dudit poste est de quelques centaines, c’est qu’il y a moyen de toucher des à-côtés (p. 92) … Le président Karzaï, avec toute sa famille, étant de facto une grosse partie du problème.
Le quatrième chapitre se tourne vers l’aide internationale, que l’auteur voit comme faisant partie du problème mais pas comme la première cause de l’échec. Il y a en premier lieu un oubli des espaces ruraux, surtout quand le niveau de sécurité permettait d’y travailler. Cependant, la coordination de l’aide devait se débattre entre volonté de ne pas alimenter la corruption locale et inattention aux besoins des habitants, avec des projets trop esseulés. Construire une école c’est visible et rapide, mais s’il n’y a pas de maître pour y enseigner (p. 132-134)… L’aide a aussi déréglé le marché du travail afghan en profondeur. Pourquoi travailler dans l’administration locale si des ONG paient cinq fois mieux ? De plus, les Afghans qui sont revenus au pays pour l’aider ont été surtout vus par les locaux comme des gêneurs, pas insérés dans les réseaux claniques mais comprenant le système, et ont souvent été démotivés et placardisés.
Puis S. Michailof revient plus en détail sur la corruption endémique, où les rares tentatives de contrôle se heurtent aux têtes de réseaux qui se trouvent justement au sommet de l’État afghan. Lutter contre le trafic d’opium quand la famille du Président en a fait son activité, et qu’en plus ces derniers sont les obligés de la CIA, même le général Petraeus, commandant de la Force internationale d’assistance et de sécurité de juin 2010 à juillet 2011, a renoncé. Le livre s’achève sur douze leçons que dégage l’auteur pour le Sahel. Il s’agit de savoir repartir, de ne pas réformer les forces de sécurité locales en voulant en faire des clones des forces occidentales, de négocier si possible, et de se concentrer sur l’aide au secteur régalien. Mais pour cela, il faut que le gouvernement local le veuille bien. Et là…
L’auteur est indéniablement un réaliste. En Afghanistan comme au Sahel, il est de l’avis que seul un pays comme la Belgique peut se gérer sans gouvernement pendant des mois, qu’il ne sert à rien de prétendre que les ethnies ne sont rien et que les habitants souhaitent d’abord la démocratie. Les conseils/leçons sont de bon sens mais politiquement pas toujours faciles à mettre en œuvre, entre la volonté d’aider de la puissance intervenante, les opinions publiques (parfois travaillées par des opérations d’influence de tiers…), la volonté de ne pas dire à l’adversaire d’attendre juste que les forces armées soient reparties ou, avant toutes choses, l’absence de volonté des gouvernements ayant appelé à l’aide, de régler le problème.
D’une lecture aisée, avec quelques notes infrapaginales mais sans bibliographie, ce livre demande néanmoins au lecteur quelques bases sur ce que sont les Talibans. Il est un excellent résumé, bien que peut-être trop court, des vingt ans de guerre en Afghanistan au XXIe siècle, d’un praticien à destination d’autres praticiens. ♦