1979 est une année charnière avec la chute du Chah d’Iran et la mise en place d’une théocratie imposée par l’Ayatollah Khomeiny. C’est aussi le début de l’intervention soviétique en Afghanistan. Ces profondes mutations stratégiques au Moyen-Orient poussent la France à agir au Liban ou autour de la péninsule Arabique.
D’un endiguement à d’autres : 1979-1991, les armées françaises au Moyen-Orient face aux perturbateurs régionaux
From One Problem to Another: 1979-1991, French Forces in the Middle East in the Face of Regional Troublemakers
The year 1979 was a turning point in which the fall of the Shah of Iran led to the establishment of a theocracy imposed by Ayatollah Khomeini. The same year saw the start of the Soviet intervention in Afghanistan. These fundamental strategic changes in the Middle East pushed France to take action in Lebanon and around the Arabian Peninsula.
L’expression « d’un endiguement à d’autres » fait entrer au cœur de la problématique fondamentale qui permet d’interpréter le positionnement français au Moyen-Orient, durant la période 1979-1991 : comment s’articulent d’une part, la logique de l’affrontement Est-Ouest, liée au poids renouvelé de la guerre froide et de la bipolarité, à la toute fin de la décennie 1970 et au début de la décennie 1980, et d’autre part, l’émergence de conflits qui échappent largement à la logique bipolaire, et corollairement l’apparition d’acteurs qui n’obéissent plus aux injonctions des deux Grands, les fameux « perturbateurs régionaux », de diverses natures : acteurs étatiques (la toute jeune République islamique d’Iran ou la Syrie de Hafez el-Assad), mais aussi infra-étatiques et transnationaux (le Hezbollah fondé en 1982 au Liban et les mouvances islamistes) ? Si les progrès de l’historiographie de la guerre froide ont montré que la bipolarité ne fut à aucun moment absolue et que les puissances moyennes, et parfois même les petites, ont pu maintenir un certain degré d’« agentivité », la région du Moyen-Orient durant la décennie 1980 semble constituer l’exemple par excellence de cette autonomisation des acteurs, voire d’une complète et précoce sortie de guerre froide (1).
1979 est une date clé qui illustre conjointement ces deux dynamiques. Le début de l’année 1979 est en effet marqué par le choc de la révolution iranienne, avec en janvier la destitution du Chah d’Iran et en février la prise du pouvoir par l’ayatollah Khomeiny, aboutissement d’un authentique processus de révolution politique et sociale, qui a commencé l’année précédente. Cette révolution iranienne fait émerger un nouveau type de régime, la république islamique, mais aussi un nouveau type d’acteurs au niveau des relations internationales, en rupture à la fois avec l’Occident capitaliste et matérialiste, et avec l’Est communiste et athée, dont le messianisme révolutionnaire paraît susceptible de déstabiliser l’ensemble de la région.
À la fin de l’année 1979, plus précisément le 27 décembre, intervient un autre choc : le déclenchement de l’invasion par l’URSS de l’Afghanistan, point de départ d’une guerre qui a duré plus de neuf ans et qui a contribué de manière décisive à l’affaiblissement économique, militaire et géopolitique de l’URSS, donc à la fin de la guerre froide. À l’époque toutefois, cette invasion est surtout perçue comme le point d’aboutissement de l’agonie de la détente Est-Ouest des années 1970 et confirme la reprise de l’affrontement bipolaire, avec un Occident qui semble sur la défensive dans plusieurs régions du Tiers-Monde. L’Afghanistan allait par ailleurs constituer, comme on le sait désormais, un véritable creuset du djihadisme islamiste transnational, appelé à devenir une force majeure du jeu international par-delà la fin de la guerre froide.
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