La guerre en Ukraine se déroule sur fond de dissuasions nucléaire et conventionnelle. La Russie reste en dessous du seuil, malgré les gesticulations, évitant de provoquer l’Otan. L’Ukraine a réussi avec des moyens conventionnels innovants à préserver ses capacités d’exportation via la mer Noire. Ce fragile équilibre a évité jusqu’à présent des dérapages conséquents mais oblige l’Otan et l’UE à poursuivre le soutien à Kyiv.
L’opération de dissuasion pendant la guerre d’Ukraine
Deterrence During the War in Ukraine
The war in Ukraine continues to unfold against a background of nuclear and conventional deterrence. Despite much gesticulation, Russia is staying below the threshold to avoid provoking NATO. Using innovative conventional assets Ukraine has succeeded in preserving its export capacity via the Black Sea. The delicate balance has up to now avoided any great excesses but at the same time it obliges NATO and the EU to continue their support to Kyiv.
Note préliminaire : Issu d’une conférence donnée le 25 mars 2024, l’article a été traduit par Dimitri Karakostas.
Vladimir Poutine agite de nouveau le sabre de l’arme nucléaire, après une pause de quelques mois (1). Il était demeuré pratiquement silencieux en 2023 quand les forces armées ukrainiennes, embourbées, étaient dans l’impasse. Il n’était pas nécessaire en effet d’agiter le sabre nucléaire dès lors que ses troupes gagnaient. L’échauffement du discours nucléaire semble lié à deux objectifs. Le premier serait la volonté de Vladimir Poutine d’inquiéter les membres républicains du Congrès qui retardent l’octroi de l’aide américaine à l’Ukraine (2) : plus ils sont stressés, mieux c’est. Le second objectif serait de répondre à ceux qui affirment que la Russie était sur le point d’utiliser des armes nucléaires en octobre 2022, quand les forces armées russes, acculées aux rives du Dniepr, étaient proches de la défaite. Pas du tout, réplique-t-il : je n’avais aucune intention d’utiliser des armes nucléaires (3). Sauf, évidemment, que ce n’est pas ce qu’affirmaient alors les services secrets au gouvernement américain.
Toutes les interventions de Poutine sur le nucléaire, depuis le début de la guerre, sont calculées pour peser sur les décisions des États-Unis et des pays membres de l’Otan. Il s’agit d’une forme d’influence correspondant à ce qui s’appelle « intrawar deterrence » (la dissuasion au cœur de la guerre). Quand j’étais encore jeune membre de la RAND Corporation, à la pouponnière de la « secte nucléaire », la « dissuasion au cœur de la guerre » était conçue comme la marche méthodique, ascendante ou descendante, d’une stratégie graduelle d’escalade nucléaire, régie par une adroite diplomatie des acteurs nationaux. Telle était la conception enseignée par les stratèges nucléaires des années 1950 et la leçon tirée de la crise des missiles de Cuba (4). Vladimir Poutine a fait de son mieux pour perturber cette approche, mais d’autres acteurs aussi, y compris, et surtout, les Ukrainiens.
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