Le pire n’est pas forcément sûr. C’est le sentiment que développe Nicole Gnesotto dans son dernier ouvrage avec l’exigence que l’Occident change enfin son regard vers le reste du monde. Certes le « Sud global » n’est pas une réalité en soi, mais il y a de nouvelles exigences pour une gouvernance mondiale plus diversifiée. C’est l’intérêt de l’Occident d’aller dans ce sens plutôt que de rechercher la confrontation.
« Arrêtons avec la fatalité du pire » - Entretien avec l’auteure de Choisir l’avenir, 10 réponses sur le monde qui vient
Stop Always Thinking the Worst! — Interview with the Author of Choisir l’avenir, 10 réponses sur le monde qui vient
The worst will not necessarily happen: this is the idea developed by Nicole Gnesotto in her latest book [Deciding the Future—10 Answers on the World to Come—Ed.], in which she stresses that the West should change its view of the rest of the world. Whilst the Global South does not exist as an entity, there are nevertheless new needs for more diversified world governance. It is in the West’s interest to move in that direction rather than seek confrontation.
C’est ce que beaucoup voudraient nous faire croire et c’est en particulier contre cette fatalité du pire, de la guerre et de la violence généralisées, que j’ai écrit ce livre. Il m’est difficile de penser qu’avec le degré de sophistication scientifique, intellectuelle, culturelle que nous avons atteint, le seul avenir que nous allons laisser à la génération qui vient soit celui d’une guerre totale en Europe, voire d’une guerre mondiale, comme des scénarios l’évoquent parfois. Arrêtons avec la fatalité du pire.
Certes, on assiste à un retour débridé de l’usage de la force aussi bien par les États constitués comme la Russie, que par des groupes terroristes comme le Hamas ou le Hezbollah, ou encore des États démocratiques en position défensive comme Israël. Il est difficile de nier cette réalité, d’autant qu’elle succède à une période où l’on était au contraire, du côté occidental, dans une grande rétention à l’usage de la force. En 2013, la Syrie de Bachar el-Assad utilise l’arme chimique contre sa population et, à la grande surprise du président Hollande, les Américains et les Britanniques décident de ne rien faire contre cette violation flagrante du droit international. En 2014, Vladimir Poutine accapare la Crimée, par une espèce de guerre hybride à base de référendum et de services spéciaux, et de nouveau l’Occident laisse faire. Jusque très récemment même, l’Occident a donc plutôt prôné et pratiqué une certaine modération dans l’usage de la force, après le retentissant échec de l’intervention américaine en Irak en 2003. Aujourd’hui, l’usage décomplexé des armes surprend. Et l’impression domine selon laquelle on est entré dans un cycle de violences contre violences, de représailles, d’engrenages inévitables, jusqu’à peut-être une guerre totale en Europe et un affrontement direct entre Israël et l’Iran.
De plus en plus en Europe, le discours de préparation à la guerre s’est donc banalisé, selon le prisme de nos émotions. Ce qui motive en effet la plupart des réactions, c’est moins la réflexion que l’émotion face à des images horribles d’attaques russes en Ukraine, ou d’atrocités commises par le Hamas en Israël. Elles l’emportent sur l’analyse froide des intérêts des uns et des autres, des calculs à venir et donc des compromis possibles. De plus, sur Israël ou l’Ukraine, deux démocraties qu’a priori l’Occident défend puisqu’elles ont été attaquées, le débat est devenu extrêmement idéologique. D’un côté, les bons qui sont des victimes, de l’autre les mauvais qui sont les agresseurs. Loin de moi l’idée de dire que les agresseurs russes et le Hamas ne sont pas condamnables, mais sous l’empire des émotions, les débats sont devenus souvent idéologiques, à tel point que critiquer un tant soit peu la corruption en Ukraine ou la stratégie de Netanyahou vous rend vite suspect, soit de « poutinisme », soit d’antisémitisme ! L’on se trouve ainsi coincé dans deux impasses, comme si la défense de la démocratie interdisait toute critique à l’égard des failles de celle-ci. C’est ce primat de l’émotion et de l’idéologie qui nourrit aussi le sentiment que la guerre est inévitable. Le dilemme entre le bien et le mal ne peut en effet conduire qu’à la guerre totale. Je préfère, pour ma part, la grande sagesse de Raymond Aron pour qui « en politique, il ne faut pas viser le bien contre le mal, mais le préférable contre le détestable ». Autrement dit, plutôt que de prédire la guerre, accepter des compromis, rogner un peu sur nos principes, nos valeurs, notre pureté démocratique, qui est en réalité une pure fiction.
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