Editorial
Éditorial
Le déclenchement à la mi-mai de violentes émeutes – provoquant, hélas, des morts dont deux gendarmes – en Nouvelle-Calédonie a brutalement rappelé à la France métropolitaine sa présence dans ce vaste espace à dominante maritime qu’est l’Indo-Pacifique. Aux antipodes du Vieux Continent, cette région est longtemps apparue comme très lointaine et en quelque sorte aux marges des grands enjeux internationaux, surtout si l’on a une vision très continentale à la Mackinder.
Or, au regard des évolutions actuelles, le centre de gravité du monde longtemps perçu selon l’axe Europe–Amérique du Nord s’est déplacé vers le monde asiatique et l’océan Pacifique. Ne serait-ce que d’un point de vue démographique, entre Chine, Inde et Indonésie, mais aussi économique, où Pékin a su, en quatre décennies, s’imposer comme une puissance industrielle, véritable atelier du monde… Au risque de faire douter de la supériorité du modèle occidental combinant capitalisme libéral, économie de marché et démocratie que le Parti communiste chinois récuse, souhaitant substituer un nouveau modèle à la fois politique et dans les relations internationales.
Face à l’Asie continentale en plein essor, l’Indo-Pacifique constitue une autre approche où la dimension maritime est essentielle au regard des élongations considérables et de la nature archipélagique de la zone. À cela doit s’ajouter l’histoire, elle aussi complexe, entre peuples premiers aux cultures spécifiques, aux connexions profondes avec l’Océan et des imaginaires spirituels, remis en cause par les vagues successives de colonisation à partir du XVIe siècle avec les Portugais et les Espagnols, puis au XVIIIe siècle avec les Britanniques et les Français encore présents, notamment en Polynésie. Les confrontations issues des processus de décolonisation restent vivaces avec des non-dits difficilement surmontables, faute de volonté consensuelle.
Désormais, il faut aussi compter avec la compétition internationale entre les États-Unis – avec ses relais comme l’Australie ou le Japon – et la Chine aux ambitions clairement affichées d’être la première puissance mondiale d’ici 2049, date du centenaire de la création de la République populaire. Dès lors, les États insulaires de l’Océanie s’efforcent de trouver un positionnement équilibré afin d’éviter une subordination par trop voyante. Il s’agit également de prendre en compte leurs problématiques, à commencer par garantir leur pérennité face aux bouleversements engendrés par le réchauffement climatique et la montée inexorable des eaux.
Je remercie ici l’Irsem (et l’Inalco) qui a conçu et conduit ce numéro d’été sur cette région à la fois si lointaine et si présente dorénavant dans la stratégie française et qui – quoiqu’il arrive, notamment en Nouvelle-Calédonie – jouera un rôle croissant sur la scène mondiale et aura de ce fait des répercussions directes sur notre quotidien. Les enjeux y sont majeurs et exigent de comprendre la complexité d’un espace géographique unique au monde. ♦