Les sous-marins sont des outils stratégiques majeurs permettant de couvrir un large spectre de missions. La compétition internationale entre constructeurs est très vive et la France, malgré l’échec de AUKUS, bénéficie du programme des SNA de la classe Suffren. Le sous-marin n’a pas fini de faire parler de lui.
Les forces sous-marines au prisme du renseignement naval et commercial
Submarine Forces—a Focus of Naval and Commercial Intelligence
Submarines are major strategic assets, capable of undertaking a wide range of missions. There is lively international competition between builders and, despite the AUKUS setback, France is reaping the benefits of the Suffren class SSN programme. We have not heard the last of the submarine.
Le 17 septembre 2021, l’Australie rompt le contrat français pour la fourniture de douze sous-marins conventionnels dérivés du type Barracuda commandés à Naval Group. Une situation inédite qui interroge quant aux enjeux entourant la vente de cette arme navale si singulière. Ensemble technologique de pointe, le sous-marin demeure une cible du renseignement technologique et commercial, tout autant qu’un objet et un outil du renseignement naval. L’environnement qui entoure la conception des sous-marins constitue, pour les acteurs de l’armement, un enjeu de concurrence aiguë où intérêts privés, étatiques et politiques s’entrecroisent.
La technologie sous-marine au croisement des relations commerciales et internationales
Ici un succès, là un échec ou encore un coup bas. Ainsi se rythme le marché international de l’armement. Ce dernier semble répondre à une seule règle : la réunion d’intérêts convergents. Des marchés qui se concluent parfois au détriment de l’éthique ou des performances techniques, et davantage au profit de considérations souterraines. Pour la France, le segment de l’armement constitue une part non négligeable de la balance commerciale (27 milliards d’euros de commandes en 2022 contre 8 Mds en 2023, quand le secteur naval enregistre la même année un chiffre d’affaires de 15,5 Mds dont 69 % réalisé par le seul secteur de la défense (1)), une baisse qui permet cependant à la France d’atteindre le deuxième rang mondial en 2023 (2) avec une progression des ventes internationales de + 47 % sur la période 2019-2023. Alors que Paris ambitionne de porter son effort de défense à 2 % de son PIB et son budget 2024 à 47,2 Mds € (3). En 2024 sur le plan maritime, Naval Group fut ou demeure en lice dans 24 offres commerciales sous-marines conventionnelles (4), destinées à des pays européens (Pays-Bas, Pologne, Roumanie), maghrébins (Maroc, Égypte), asiatiques (Inde, Indonésie, Philippines) et enfin sud-américains (Brésil, Argentine, Pérou, Colombie et Chili). L’industrie de défense constitue l’un des rares secteurs d’activité économique où le savoir-faire et la recherche se démarquent, suscitant la convoitise de certains partenaires européens. Pour une entreprise, les différentes étapes d’un appel d’offres sont en définitive, comparables à une vaste offensive militaire. Comme le souligne Alain Juillet (5), dès lors que les intérêts de l’État sont en jeu, les moyens régaliens sont sollicités, y compris les services de renseignement, dans le but de connaître l’environnement contractuel et ainsi favoriser les fleurons français à l’international. C’est ce qui constitue aujourd’hui la base de l’intelligence ou science économique ou competitive intelligence. Stratégie, tactique et connaissance de l’adversaire – les concurrents – tout autant que de la cible – le client – nécessitent de dissiper les incertitudes, de lever le voile sur les intentions des parties prenantes pour identifier, et créer, l’avantage concurrentiel décisif.
La maîtrise technologique française n’est pas sans conséquences sur le poids des offres tricolores. Une crédibilité forgée depuis de longues années avec la capacité à produire des navires dotés d’une propulsion dite « classique » ou conventionnelle, et une propulsion nucléaire favorisant les sous-marins de petite taille comme le furent les SNA de type Rubis. Souvenons-nous que l’exportation française en la matière est très ancienne et rapide. Dès 1906, soit six ans après la mise en service du Narval, Maxime Laubeuf démissionne pour devenir ingénieur conseil de Schneider & Cie, afin d’œuvrer à la construction de sous-marins pour le Pérou, le Japon, la Grèce, la Turquie et la Roumanie (6). En Europe centrale, après la Première Guerre mondiale, la Mission militaire française en Pologne constitua un formidable levier de la promotion de l’industrie française. À partir de 1924, Varsovie a grand besoin de retrouver une flotte compétitive qui puisse garantir sa souveraineté territoriale et son accès à la mer Baltique. L’occasion pour la France de placer le consortium Schneider & Cie, Chantiers & Ateliers de la Loire et Chantiers Normand qui décroche le contrat de 6 sous-marins torpilleurs et 3 sous-marins mouilleurs de mines. Une opération commerciale surveillée de très près par le 2e Bureau de la Marine en lien étroit avec l’attaché naval en poste à Varsovie. L’opération tente de se répéter la même année en Roumanie. Mais le succès du contrat polonais a suscité l’appétence du chantier naval italien de Fiume qui propose aux Roumains trois sous-marins économiquement plus concurrentiels que les Français, aidés par une campagne de désinformation efficace. Bien que le marché soit conclu en 1927, la marine roumaine ne percevra le premier exemplaire qu’à partir de 1936, au terme de nombreuses corrections techniques. Ce cas illustre un des premiers échecs commerciaux dans le domaine, au prix d’un moins disant technique substantiel pour l’État acheteur.
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