À cause de la létalité d’une guerre en Ukraine qui dure, Moscou valorise les minorités ethniques comme composantes spécifiques des forces russes. Cette instrumentalisation permet de renforcer l’engagement des ethnies. Cet enjeu identitaire est censé renforcer l’unité de la Russie face aux menaces extérieures, quitte à réécrire l’histoire.
Le système russe en guerre à l’épreuve de l’ethnicité : le cas des républiques « nationales » de la région de la Volga-Oural – Ou la situation des minorités entre instrumentalisation et saisie d’opportunités pour l’affirmation identitaire
The Russian Way of War Put to the Test by Ethnic Matters: The Case of the ‘National Republics’ of the Volga-Ural Region. Or, Minorities Caught Between Exploitation and Opportunities to Affirm Their Identity
Concerned by the lethality of the lasting war in Ukraine, Moscow is taking advantage of ethnic minorities as special components of Russian forces. This exploitation is meant to boost the commitment of those ethnic groups, and the ‘national identity’ aspect is designed to strengthen Russian unity against external threats—even if it means rewriting history.
La guerre en Ukraine, dont la nouvelle phase a commencé le 24 février 2022, a immédiatement été marquée par un cadrage identitaire du côté russe. On insiste souvent sur la dimension « grand-russe » du discours du Kremlin (1), mais le poids démographique croissant des minorités ethniques, qu’il s’agisse des minorités « autochtones » ou d’origine immigrée, et l’importance économique et géostratégique des « républiques nationales » ont donné un retentissement à la promotion de la « multinationalité » (terme utilisé, notamment dans la Constitution, ainsi que dans le discours du pouvoir et les médias officiels, pour caractériser la diversité ethnique de la Russie).
Lors de sa réunion du 3 mars 2022 avec les membres du Conseil de sécurité, diffusée sur les plateaux télévisés, Vladimir Poutine a choisi de mettre en valeur une « multinationalité » du peuple de la Russie, opposée aux « nationalistes » : « Je suis un homme russe et, comme on dit, dans ma famille, il n’y a toujours eu que des Ivan et des Marie. Mais quand je vois des exemples de tel héroïsme, comme l’exploit du jeune homme Nourmagomed Gadjimagomedov (2) – originaire du Daghestan, Lak de nationalité, et d’autres de nos soldats, j’ai envie de dire : je suis Lak, je suis Daghestanais, je suis Tchétchène, Ingouche, Russe, Tatar, Juif, Mordve, Ossète… Il est tout simplement impossible de nommer les plus de trois cents groupes nationaux et ethniques de Russie – je pense que vous me comprenez –, mais je suis fier d’être une partie de ce monde, une partie de ce peuple puissant, fort et multinational de la Russie (3). »
Dès le début de la guerre, les instances officielles ont diffusé des messages mettant en valeur la diversité ethnique des forces armées russes. En guise d’exemple, le ministère de la Défense russe a souligné l’emploi de la langue touvaine dans des communications militaires, les rendant indéchiffrables pour les Ukrainiens (4). Bien qu’il soit difficile de juger de la pertinence de l’emploi des langues minoritaires dans la transmission des messages sur la ligne de front, on peut néanmoins constater que le ministère de la Défense a souhaité mettre en valeur ces pratiques. Celles-ci rappelleraient sans doute au grand public l’histoire célèbre des Code Talkers amérindiens de l’armée américaine durant les deux guerres mondiales.
Il reste 89 % de l'article à lire
Plan de l'article