Le tournant capacitaire de la Bundeswehr engagé en 2022 prévoyait 100 milliards d’euros pour renforcer une armée allemande négligée depuis des décennies. L’effort est important mais reste insuffisant au regard des faiblesses capacitaires encore importantes. La question de l’acceptabilité du renforcement militaire reste posée au sein de la société allemande, réticente à prendre des risques.
Le tournant capacitaire de la Bundeswehr (Zeitenwende) : une réalité durable ?
The Bundeswehr’s Capability Boost (die Zeitenwende): Realistic and Sustainable?
The 2022 commitment to boost the Bundeswehr’s capability allocated 100 billion euros to strengthen German forces that had been neglected for decades. It is a major effort yet remains insufficient when significant capability weaknesses are taken into consideration. The acceptability of such military strengthening to the risk-averse German society remains an open question.
Le 27 février 2022, le chancelier Olaf Scholz prononçait devant le Bundestag réuni en session extraordinaire un discours dans lequel, prenant acte du « tournant » historique (1) que constituait selon lui l’invasion de l’Ukraine par la Russie, il indiquait cinq priorités qui constituaient l’ossature de cette nouvelle politique (2). Peut-être plus que le changement d’attitude à l’égard de Vladimir Poutine, après tout dicté par les circonstances et qui s’était, du reste, déjà amorcé après les événements de 2014 et le rattachement de la Crimée à la Russie, l’annonce d’un effort militaire considérable semblait rompre avec près de trente ans de politique de déflation qui avaient laissé la Bundeswehr exsangue.
Cette urgence qui ressortait dans les propos du chancelier – « nous avons besoin d’avions qui puissent voler, de bateaux qui puissent prendre la mer et de soldats parfaitement équipés pour leurs missions » – n’était pas une simple figure oratoire. Mobilisée dès la chute du Mur (1989) par l’énorme chantier de la réunification et son coût exorbitant, l’Allemagne avait en effet très vite préféré réduire à la portion congrue les sommes consacrées à son outil de défense, jugé alors moins utile, et récolter les « dividendes de la paix », économisant de ce fait sur les trois dernières décennies, selon un récent rapport du Kiel Institut für Weltwirtschaft (3), entre 400 et 600 milliards d’euros.
Le prix d’une telle politique n’est cependant pas sans conséquences et, dès 2016, les auteurs du Livre blanc sur la défense et la sécurité pointaient les contradictions existant entre les missions assignées aux armées et l’état alarmant de certains matériels. En février 2018, le Commissaire parlementaire aux forces armées, Hanz-Peter Bartels, attirait l’attention sur la grande « misère » de l’armée, citant à titre d’exemple qu’en novembre 2017, seuls 95 des 244 chars de combat Leopard 2 étaient prêts à l’emploi, tandis qu’aucun des six sous-marins et des 14 avions de transport A400M à disposition n’était opérationnel, une situation qui, malgré une certaine prise de conscience et la hausse du budget depuis 2019, n’avait guère évolué. C’est ce tableau préoccupant que le contrat passé par les différents partis de la coalition tricolore (4) avait, lors de son entrée en fonction en 2021, souhaité corriger, l’invasion de l’Ukraine ayant en quelque sorte accéléré le processus.
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