La Libération de l’Alsace eut lieu fin 1944 avec l’engagement de forces américaines et de la 1re Armée française commandée par le général de Lattre de Tassigny. L’entrée au nord par le col de Saverne et au sud par le Territoire de Belfort permit aux troupes alliées de libérer Strasbourg et Mulhouse. Toutefois, les Allemands surent maintenir une poche autour de Colmar.
Histoire militaire - La Libération de l’Alsace (1/2) Novembre-décembre 1944
Military History—The Liberation of Alsace(1/2) November/December 1944
Alsace was liberated at the end of 1944 by the commitment of US forces and the 1st French Army commanded by General de Lattre de Tassigny. Entry over the Col de Saverne in the north, and through the Territoire de Belfort in the south, enabled allied troops to liberate Strasbourg and Mulhouse. The Germans nevertheless managed to maintain a pocket of resistance around Colmar.
Note préliminaire : Les lecteurs pourront utilement se reporter à la carte p. 258 de l’ouvrage de Jean Lopez, Nicolas Aubin et Benoist Bihan, Les opérations de la Seconde Guerre mondiale en 100 cartes (Perrin, 2024).
La Libération de l’Alsace fut l’œuvre du 6e groupe d’armées du général américain Devers (1re Armée française commandée par le général de Lattre de Tassigny et 7e Armée US sous les ordres du général Patch), durant le mois de novembre et la première quinzaine du mois de décembre 1944. Elle fait suite à l’échec de toutes les tentatives qui avaient été engagées dès la fin de la poursuite de la XIXe Armée allemande commandée par le général Wiese depuis la Provence.
L’accès à la plaine d’Alsace est contrôlé par un double verrou : la trouée de Belfort au sud et le col de Saverne au nord. Toutes les tentatives pour les tourner avaient échoué ; de Lattre s’était engagé dans les Vosges mais n’a jamais pu atteindre la ligne de crête pour basculer ensuite dans la plaine. Quant à Patch, il est demeuré bloqué à hauteur de la Moselle.
La planification
Eisenhower envisage donc d’orienter Bradley avec Patton (3e Armée US) en direction de la Sarre, offensive couverte par une attaque de Devers en direction de l’Alsace. Dans cet esprit, Eisenhower demeure fidèle à ses idées d’attaquer sur un front continu et large. Il ne va pas jusqu’à placer Patton sous les ordres du 6e groupe d’armées, car ce serait trop alourdir ses charges logistiques. Son idée de manœuvre est une action initiale en force sur les deux môles d’ailes pour y fixer les moyens ennemis, avant une exploitation par une poussée du centre en direction de la plaine.
Devers dispose de trois groupements de forces : au nord, le 15e Corps d’armée US sous le commandement du général Haislip à 3 Divisions d’infanterie (DI) et la 2e Division blindée (DB) française commandée par le général Leclerc, maintenue en réserve. Au centre, le 6e CA US sous le commandement du général Brooks à 4 DI. L’ensemble de ces moyens constituent la 7e Armée, dite « armée Patch ». Au sud, la 1re Armée engage 2 CA, soit 4 DI et 2 DB.
Les Allemands ont établi des lignes de défense dans le massif vosgien (les Vogesen Stellungen), mais les obstacles à base d’abattis sur les axes ne sont pas battus par les feux, faute de moyens. Le général commandant la XIXe armée allemande porte son effort au sud, et, au nord, Haislip va se heurter à deux divisions appartenant à deux armées différentes, ce qui va poser des problèmes de coordination à la défense allemande. Les Alliés ne le savent pas, mais la planification chez les Allemands de leur offensive dans les Ardennes va priver le général Wiese de tout espoir de se voir renforcer en moyens.
La conduite. 1re phase : l’entrée en Alsace
Au nord, le 15e CA US parvient à percer les deux premières lignes allemandes et Haislip engage la 2e DB de Leclerc en exploitation. Découvrant un axe libre de toute défense, en direction de Dabo, Leclerc réussit, le 22 novembre, à prendre pied en plaine d’Alsace. Il masque le col de Saverne et s’empare de La Petite-Pierre. Rassemblant tous ses groupements au pied des Vosges, il les lance, le 23 matin, dans un raid décentralisé au niveau des sous-groupements en direction de Strasbourg avec comme idée de manœuvre : s’emparer du pont de Kehl (1). C’est le lieutenant-colonel Rouvillois qui parvient le premier à pénétrer dans la capitale alsacienne, mais il ne peut s’emparer du pont de Kehl, défendu par une zone de casernes au sein desquelles les Allemands se retranchent. Son débouché vers la France est interdit, puisque les moyens allemands sur la rive gauche sont fixés hors de la ville de Strasbourg. Leclerc est couvert au nord par une DI qui se déploie jusqu’à Haguenau le long du Rhin.
Au centre, le 6e CA s’empare de Raon-l’Étape et de Saint-Dié et atteint la ligne de crête des Vosges, sans toutefois parvenir à en déboucher.
Au sud, fixant les forces allemandes dans les Vosges, de Lattre réussit à disloquer la défense allemande en s’emparant du fort du Lomont au sud de Montbéliard. Belfort étant masqué, de Lattre oriente le général du Vigier, commandant la 1er DB, vers le Rhin, objectif hautement symbolique. Les axes vers Belfort étant tenus, du Vigier est forcé d’utiliser le pont de Delle et de manœuvrer dans une très étroite bande de terrain le long de la frontière suisse, en direction d’Altkirch. Le Rhin est atteint le 21 soir, par un détachement d’un sous-groupement de la 1re DB, première unité alliée à border le fleuve. Le lendemain, Mulhouse tombe, mais les Allemands continuent à tenir la forêt de la Hardt.
Pour se donner de l’air, de Lattre engage la 5e DB commandée par le général de Vernejoul en direction de Dannemarie et Thann, ce qui provoque un embouteillage mémorable entre les colonnes des deux divisions blindées dont les itinéraires se cisaillent.
À ce moment, Belfort, investi, tombe, ce qui libère tous les axes du sud de la zone d’action de la 1re Armée. De Lattre engage alors sa manœuvre d’armée : faisant roquer la 1re DB et la 9e DIC vers l’ouest, il fait descendre du sud des Vosges le 2e CA : les deux branches de la tenaille de la 1re Armée font leur jonction à Burnhaupt, y encerclant plusieurs divisions allemandes.
La conduite. 2e phase : les occasions manquées, la formation de la poche de Colmar
Ces deux victoires, à Strasbourg et au sud de l’Alsace devaient se révéler des victoires à la Pyrrhus puisque, le pont de Neuf-Brisach étant demeuré dans les mains de l’ennemi, il a pu rameuter des renforts et reconstituer son dispositif qui allait vite devenir la poche de Colmar. Comment en est-on arrivé là ?
Devers, conformément à l’ordre de Eisenhower (donné le 25 novembre) de réduire la totalité des Allemands sur la rive gauche du Rhin avant son franchissement, ordonne à de Lattre d’en finir avec la XIXe Armée. De Lattre dispose de huit divisions dont 3 blindées (il a reçu le renfort de la 2e DB, au grand désagrément de Leclerc). Alors qu’il lui faut agir vite et avec audace pour s’emparer du pont de Neuf-Brisach, cordon ombilical de toute manœuvre allemande sur la rive gauche du Rhin en Alsace, de Lattre va tergiverser, en arguant de la fatigue de ses troupes, notamment son infanterie.
Or, de Lattre ne raisonne qu’en termes de manœuvre d’infanterie. Alors qu’il a trois divisions blindées sous ses ordres, il n’a jamais imaginé la constitution d’un corps blindé temporaire les regroupant pour concentrer ses efforts sur Neuf-Brisach, à la fois depuis le nord (2e DB), le sud (1re DB) et l’ouest (5e DB). La portée d’une telle manœuvre aurait été comprise entre 30 et 50 kilomètres. L’opportunité est passée dans les premiers jours du mois de décembre.
En effet, les Allemands, eux, ont réagi avec promptitude : Himmler se voit nommé commandant de l’armée de réserve déployée en Alsace. Le génie allemand ouvre plusieurs ponts sur le Rhin (qui ne sont pas désignés comme des objectifs pour le 1er Corps aérien du général Girardot adapté à la 1er armée). Les divisions françaises s’établissent en défensive sur leurs positions atteintes à la fin de la manœuvre de Burnhaupt, si bien que, lorsque le 5 décembre, l’ordre de reprise de l’offensive est enfin donné, avec comme objectif la réduction de la poche de Colmar, les assaillants se heurtent à une défense allemande coordonnée et organisée dans la profondeur. C’est l’échec, l’occasion est passée.
Le bilan de cette campagne d’Alsace, qui compte parmi les plus brillantes de la 1re Armée, demeure néanmoins mitigé. De Lattre n’a pas réitéré la campagne d’Alsace de l’hiver 1675, conduite par Turenne et qui a culminé dans la victoire de Turckheim. Pourquoi ? La raison en est essentiellement l’absence de culture interarmes de la 1re Armée et de ses chefs. Les cavaliers ont parfaitement intégré les normes et le rythme de la manœuvre blindée. Les fantassins ont, de leur côté, parfaitement assimilé les impératifs du combat motorisé, mais aucune des deux armes n’a été capable de manœuvrer ensemble en commun, en vue d’atteindre un but unique. La quintessence du combat interarmes, pourtant à la base de la constitution des sous-groupements blindés, n’est pas encore passée dans les mœurs. Il faudra attendre les enseignements de la campagne d’hiver et le mois de la garde au Rhin courant mars, afin de reprendre l’instruction et l’entraînement pour, en avril, enfin, conduire une brillante manœuvre interarmes lors de la campagne d’Allemagne. Il aura fallu un an de campagne pour obtenir ce résultat. ♦
(1) NDLR : sur ce sujet, voir le récit quasi heure par heure de Jacques Branet, « Documents - La délivrance de Strasbourg », RDN, n° 33, février 1947, p. 227-244 (https://www.defnat.com/). Republié dans le Cahier de la RDN « La Libération dans la Revue Défense Nationale », 2024 (https://www.defnat.com/e-RDN/cahiers-de-la-RDN.php).