Leçons sur l'unité française et les caractères généraux de la civilisation française
François Renouard, diplomate, publie le texte de leçons que son père Yves, grand historien et détenteur de titres universitaires éminents, donna à ses étudiants étrangers en 1948 à l’Institut d’études politiques de Bordeaux et à la Sorbonne. Plus précisément, deux d’entre elles portent sur « L’unité française » et cinq autres sur « Les caractères généraux de la civilisation française ».
La première série entend montrer comment l’unité nationale, notion absente au départ (alors que d’autres regroupements territoriaux auraient pu se constituer) s’est réalisée autour de la personne du roi, « ferment essentiel… pierre angulaire ». Après les centralisateurs que Philippe Auguste (à l’origine du rayonnement de Paris) et Saint Louis, l’œuvre de fusion progressive culmina sous Louis XIV selon la formule : « Un roi, une foi, une langue, un art » et se poursuivit paradoxalement dans l’esprit de la fête de la Fédération : « Une structure horizontale se substitue à l’ancienne structure verticale… à l’unité imposée d’en haut succède désormais une unité voulue de tous les citoyens » (non, la France d’en bas n’est pas citée !). Certes, cette unité n’empêche pas la diversité, car il existe en France « 500 régions naturelles », mais elle exclut l’« inepte agitation autonomiste ». Cohérent, l’auteur n’est pas tendre pour les Albigeois « avides de biens et de terre » et peut-être fallait-il révoquer l’Édit de Nantes pour rester fidèle au « serment du sacre » ?
La seconde série est bâtie autour de mots-clés : universalité, centralisation, logique, sens de la mesure, élégance, tout en reprenant par endroits certains thèmes déjà traités en première partie. L’exposé est chaque fois concis, habile, convaincant, à l’occasion souriant voire ironique, parfois aussi un peu grandiloquent. Le temps a fait son œuvre après un bon demi-siècle, le vocabulaire a évolué comme la société, et l’enthousiasme national, s’il s’applique toujours avec autant de fougue à propos des succès sportifs, ne s’exprime plus de la même manière que naguère. Aussi le lecteur accueillera-t-il avec attendrissement et nostalgie, mais avec un fort sentiment de décalage, l’hymne à la colonisation prônée par Jules Ferry « homme de génie » et le tableau d’un peuple travailleur, vivant pour 50 % à la campagne, « ne comptant pas ses heures » (sic) et allant boire le dimanche « le petit vin blanc »… à Nogent il va de soi. Il ne manque à ces cocoricos que l’Angélus de Millet. Quiconque aurait lu ces lignes à l’époque en aurait relevé l’indéniable qualité littéraire sans se poser de questions sur le fond.
On admirera dans ces textes l’élévation de la pensée, la clarté de l’expression et un sens remarquable de la synthèse, même si l’auteur, bien français également sur ce point, soucieux de convaincre et animé de cet « esprit de croisade permanent » qu’il attribue à ses compatriotes, s’acharne à trouver une continuité de la cathédrale gothique à Le Corbusier et des points communs, témoins de cette originalité française qu’on baptise maintenant « exception », entre la mode féminine parisienne, les lignes de la traction avant, la peinture de Braque, les tragédies de Racine et le paquebot Normandie.
Le fils, fidèle porte-parole, est néanmoins bien conscient de l’« affaiblissement dramatique » subi depuis par nos valeurs, et sceptique devant les effets de la dilution européenne. Il se dit « profondément pessimiste » au spectacle de ce « peuple rieur, ironique et moqueur devenu grognon et hargneux ». ♦