Gendarmerie et sécurité intérieure - Le redéploiement des forces de Police et de Gendarmerie
À partir des orientations du rapport Carraz-Hyest (1), le précédent gouvernement avait entrepris de procéder à des redéploiements entre la Police nationale et la Gendarmerie nationale (2). Ces opérations ont pour objectif, rappelons-le, de favoriser la mise en œuvre de zones de compétence plus homogènes, plus cohérentes, en termes de délinquance et d’emploi rationnel des moyens publics.
Il s’agit, en effet, de tenir compte, simultanément, de la continuité du tissu urbain (en intégrant dans la zone de compétence de la police des communes péri-urbaines relevant de la gendarmerie, mais situées à la proximité immédiate d’une importante agglomération) et de la régression démographique de certaines villes moyennes (pouvant aboutir au maintien d’un commissariat de police dans des communes de moins de 10 000 habitants).
Sous la pression conjuguée des élus locaux et des syndicats de police, le gouvernement Jospin avait finalement décidé, le 25 septembre 1998 — dans le climat, il est vrai, peu favorable des élections sénatoriales et de l’absence du ministre de l’Intérieur, Jean-Pierre Chevènement, confronté à de graves problèmes de santé — de reporter la mise en œuvre de ces mesures de redéploiement, une commission devant être mise en place afin de rechercher une voie plus consensuelle. À la faveur d’une intervention devant le groupe socialiste à l’Assemblée nationale, le 19 janvier 1999, le Premier ministre avait transformé ce report en abandon, en indiquant qu’il n’y aurait pas « d’application générale et systématique » du plan de redéploiement territorial, mais « un examen au cas par cas, en concertation avec les élus concernés », aucun calendrier n’étant prévu pour opérer ces transferts entre police et gendarmerie. Aussi, à la fin de l’année 2001, seulement six circonscriptions de Police avaient été transférées à la Gendarmerie : Saint-Junien (87), Aubusson (23), Les Andelys (27), Hirson (02), Vitry-le-François (51) et Bagnères-de-Bigorre (65).
Changement de méthode
Tirant les enseignements de cette réforme avortée, le gouvernement Raffarin a décidé de reprendre ce chantier, sur la base toutefois d’une méthode différente. La loi du 29 août 2002 d’orientation et de programmation relative à la sécurité (LOPSI) indiquait ainsi qu’« une répartition plus rationnelle sera recherchée entre les zones de compétence de la Police nationale et de la Gendarmerie nationale. Il conviendra ainsi de corriger, par le biais d’échanges compensés, les situations qui présentent au plan local un manque de logique opérationnelle. Chaque force devra s’organiser pour prendre effectivement en charge les missions de sécurité publique dans l’ensemble de la zone de responsabilité qui lui est confiée ».
Alors que le précédent gouvernement avait choisi une application « jacobine » du rapport Carraz-Hyest (les administrations centrales ayant reçu pour tâche de dessiner les cartes des nouvelles circonscriptions sans tenir compte de l’avis des acteurs locaux), provoquant de vives réactions et oppositions, la méthode mise en œuvre par Nicolas Sarkozy repose sur une concertation préalable conduite dans les départements par les préfets. Chaque représentant de l’État a reçu, en effet, la mission d’élaborer, pour son département, des propositions de redéploiement, avec le concours technique du directeur départemental de la sécurité publique et du commandant de groupement de Gendarmerie. Ces propositions ont été soumises aux élus locaux concernés, dans le cadre d’un dialogue direct, les résultats de cette concertation étant adressés au ministre à la fin du mois de novembre 2002. Ainsi, les décisions de redéploiement n’ont été prises qu’après de nombreux échanges, voire un complément de concertation ponctué souvent par un déplacement du ministre. Ce passage par le niveau local est de nature, il est vrai, à permettre une prise en compte des circonstances particulières, mais aussi des investissements consentis par les collectivités locales en matière immobilière.
L’autre élément important de cette méthode réside dans l’échelonnement des redéploiements : les transferts ont débuté, en effet, en mai 2003 dans deux départements (Aube, Eure-et-Loire) et doivent se poursuivre jusqu’en 2005, les échelons locaux ayant reçu pour tâche d’organiser ces mouvements (notamment organisation des services, patrimoine immobilier et ressources humaines). Au terme de cette période, la carte policière devrait faire l’objet d’une révision chaque année, de manière à procéder aux redéploiements rendus nécessaires par les évolutions sociodémographiques et la lutte contre la délinquance. Enfin, dans chaque département, il appartiendra au préfet d’établir un bilan des transferts, un an après leur réalisation, en concertation avec les élus et les responsables locaux, de manière à proposer, le cas échéant des ajustements.
Le programme des redéploiements
Entre 2003 et 2005, les redéploiements devraient être mis en œuvre dans une soixantaine de départements, la Gendarmerie transférant la surveillance de 217 communes (970 000 habitants) à la Police, et 115 communes (785 000 habitants) relevant de la zone de police devant lui être confiées ; 29 départements ne sont pas concernés par ces réorganisations (3). La Gendarmerie devrait reprendre une quarantaine de circonscriptions de sécurité publique dans 35 départements (communes de 10 000 à 15 000 habitants), ce qui se traduira, par exemple, par la fermeture du commissariat de Saint-Jean-d’Angély (7 681 habitants), de Figeac (9 606 habitants) ou encore de Limoux (9 411 habitants) (4). Pour la Police, 79 circonscriptions de sécurité publique (dont 3 outre-mer) seront étendues et 3 seront créées dans 26 départements (5), afin d’intégrer des communes situées dans la périphérie des principales agglomérations. Ainsi, pour la Haute-Garonne, le transfert en zone de police doit se traduire, au 1er février 2004, par l’intégration dans la circonscription de sécurité publique de Toulouse des communes de Blagnac (20 590 habitants) et de Tournefeuille (22 745 habitants).
Mouvements de personnel
S’agissant des effectifs, les transferts police-gendarmerie devraient bénéficier d’une partie des créations d’emplois prévues par la LOPSI de 2002 (7 000 emplois pour la Gendarmerie et 6 500 pour la Police entre 2003 et 2007) : pour la Police, 1 765 fonctionnaires devraient quitter les commissariats transformés en brigades de Gendarmerie, 2 172 fonctionnaires étant prévus pour assurer les créations et extensions de circonscriptions de sécurité publique consécutives à la dissolution des unités de Gendarmerie ; pour la Gendarmerie, 1 429 militaires quitteront les 241 brigades dissoutes et 2 591 militaires seront affectés dans les 132 brigades créées en application de ces transferts.
Une réforme bien engagée
Même s’il est prématuré de se prononcer sur les effets d’une réforme à peine entamée, la méthode retenue par le gouvernement Raffarin semble toutefois avoir porté ses fruits, aucune mobilisation d’ensemble, aucune manifestation locale significative n’étant venue remettre en cause le processus de redéploiement. Il convient cependant de noter que quelques transferts délicats ont été, au moins pour l’instant, soigneusement (pragmatiquement) laissés de côté, avec probablement le souhait que le mouvement impulsé puisse conduire, à moyen terme, à traiter toutes les situations, même les plus conflictuelles, dans la mesure où il sera difficile, à horizon 2005, à des élus locaux, à des acteurs socio-économiques ou à des syndicalistes de s’opposer à une réforme engagée depuis plusieurs années au niveau de plus de trois cents communes. ♦
(1) Rapport au Premier ministre sur une meilleure répartition des effectifs de la police et de la gendarmerie pour une meilleure sécurité publique, avril 1998. Les deux parlementaires proposaient, entre autres, le transfert en zone de gendarmerie de 89 circonscriptions (population inférieure à 25 000 habitants, criminalité inférieure à la moyenne nationale, communes non chefs-lieux de départements) et de 38 communes en zone de police (continuité de l’agglomération, densité supérieure à 500 habitants/km2, taux de criminalité supérieur à 67 ‰).
(2) Cf. « La répartition des effectifs de la gendarmerie. À propos du rapport Carraz-Hyest », Défense Nationale, chronique « Gendarmerie », juillet 1998 ; « Le rapport Carraz-Hyest et le redéploiement des forces de police et de gendarmerie (suite) », Défense Nationale, chronique « Gendarmerie », mai 1999.
(3) Aisne, Alpes-de-Haute-Provence, Ardennes, Cantal, Corse-du-Sud, Côte-d’Or, Creuse, Gard, Gers, Gironde, Haute-Savoie, Haute-Marne, Hautes-Alpes, Haute-Vienne, Haut-Rhin, Indre-et-Loire, Landes, Lot-et-Garonne, Lozère, Maine-et-Loire, Oise, Pyrénées-Orientales, Savoie, Tarn, Tarn-et-Garonne, Val-d’Oise, Vaucluse, Vienne, Vosges.
(4) Le Teil et Tournon-sur-Rhône (Ardèche), Romilly (Aube), Limoux (Aude), Villefranche-de-Rouergue (Aveyron), Châteaurenard (Bouches-du-Rhône), Vire (Calvados), Saint-Jean-d’Angély (Charente-Maritime), Saint-Amand-Montrond (Cher), Guingamp (Côtes-d’Armor), Sarlat-la-Canédat (Dordogne), Pierrelatte (Drôme), Bernay (Eure), Douarnenez et Landerneau (Finistère), Pézenas (Hérault), Issoudun (Indre), Saint-Claude (Jura), Figeac (Lot), Avranches (Manche), Mayenne (Mayenne), Neuves-Maisons (Meurthe-et-Moselle), Commercy (Meuse), Pontivy (Morbihan), Cosne-Cours-sur-Loire (Nièvre), Caudry (Nord), Thiers et Issoire (Puy-de-Dôme), Oloron-Sainte-Marie et Mourenx (Pyrénées-Atlantiques), Tarare (Rhône), Lure (Haute-Saône), Paray-le-Monial et Autun (Saône-et-Loire), La Flèche (Sarthe), Le Tréport (Seine-Maritime), Albert (Somme), Saint-Tropez (Var), Fontenay-le-Comte (Vendée) et Joigny-Migennes (Yonne).
(5) Ain, Allier, Alpes-Maritimes, Ariège, Bas-Rhin, Charente, Deux-Sèvres, Doubs, Essonne, Eure-et-Loir, Haute-Corse, Haute-Garonne, Haute-Loire, Hautes-Pyrénées, Ille-et-Vilaine, Isère, Loir-et-Cher, Loire, Loire-Atlantique, Loiret, Marne, Moselle, Orne, Seine-et-Marne, Territoire-de-Belfort, Yvelines.