Déserteurs et insoumis
Le sous-titre apporte une utile précision : « Les Canadiens français et la justice militaire (1914-1918) ». Voici un petit livre instructif pour un lecteur français nourri de Maria Chapdelaine, de gentille alouette et de mémorial de Vimy. Sans porter aucunement atteinte au souvenir de l’héroïsme des combattants de l’Artois, l’auteur, universitaire, s’écarte de l’image d’Épinal pour exposer les motifs, après tout fort compréhensibles, du manque certain de passion de beaucoup de nos cousins québécois pour aller patauger dans une boue que leurs ancêtres avaient peut-être déjà remuée auparavant.
D’abord, l’armée régulière canadienne du temps de paix était, même complétée d’une milice, plutôt squelettique et il n’existait parmi la population aucune tradition de service militaire comme ce pouvait être le cas pour les contemporains européens. Par ailleurs, et de façon qui peut nous paraître surprenante, voire vexante, le Québécois moyen s’était peu soucié jusqu’alors des complications intra-européennes et ne situait guère Metz et Strasbourg ; du coup, il n’envisageait pas sa participation active au conflit comme une aide apportée à l’armée française, mais plutôt comme une obligation de servir à titre plus ou moins d’auxiliaire dans une campagne engagée au profit de Londres et au sein d’unités soumises à la discipline et aux traditions britanniques.
Dans ces conditions, il ne faut pas s’étonner que l’instauration tardive (1917) de la conscription n’ait soulevé ici qu’un enthousiasme mitigé et que personne n’ait « péché par excès de patriotisme ». Les demandes d’exemption (nous dirions de préférence : de dispense) atteignirent un pourcentage record et furent instruites avec une assez grande mansuétude. Le taux d’insoumission (terme que l’auteur distingue à juste titre de celui de désertion, en évitant ainsi une confusion fréquente jusque dans les esprits gaulois) fut le double de celui enregistré pour l’ensemble du pays et la poursuite des fautifs fut apparemment aussi molle qu’inefficace.
Les déserteurs, de leur côté, avant ou après l’engagement sur le front français, étaient en majorité des garçons très jeunes, provenant de milieux urbains et de faible niveau. Pour combattre le phénomène, des cours martiales instituées selon une hiérarchie complexe, souvent incompétentes et aux décisions aussi arbitraires que sans appel, appliquant en outre des « procédures unilingues » défavorables à la défense, semblent toutefois avoir fait le maximum pour jouer sur la qualification des crimes, notamment en glissant de la désertion à l’« absence sans permission ». La plupart des peines capitales furent commuées et finalement sept Canadiens français furent exécutés.
Il faut croire qu’au Canada des « rumeurs persistantes » ont fait de la majorité des francophones des émules de Boris Vian. Une conclusion en demi-teinte s’achemine sans grande conviction vers une réhabilitation. ♦