Éthique et commandement
Ce livre Éthique et commandement, répond, une fois n’est pas coutume, à une attente très actuelle au sein de l’institution militaire. Cependant, il faut ici pré venir le lecteur : le titre de l’ouvrage est trompeur. Éthique et commandement n’est pas la synthèse contemporaine d’un thème à la mode. Il s’agit de l’adaptation d’une thèse de doctorat intitulée « Éthique et commandement chez les officiers mémorialistes de 1799 à 1830 ». Le sujet est donc plus restreint qu’à première vue. L’auteur a sélectionné quelque 88 Mémoires publiés par des militaires de l’époque afin d’y puiser quelques idées fortes pour présenter un panorama des notions éthiques liées à l’exercice toujours difficile du commandement.
La première déception passée, le lecteur est vite récompensé dans sa persévérance tant le livre de Laurence Montroussier invite à entreprendre, page après page, un intéressant travail de comparaison avec la situation actuelle.
La période étudiée est d’ailleurs passionnante en ce qu’elle a été particulièrement propice aux interrogations morales les plus intenses : situation de guerre permanente, changements de pouvoir incessants, guerre d’Espagne contre les populations civiles, etc. Autant d’occasions pour le militaire de se remettre en question. Quelle autorité suprême reconnaître ? L’ordre de passer par les armes les habitants d’un village n’est-il pas inacceptable ? Est-il beau qu’un soldat désobéisse à des ordres criminels ?
Il est en outre plaisant de constater la persistance de thèmes chers aux cadres d’aujourd’hui. Ainsi, le mépris pour les ambitieux privilégiant sans vergogne leur carrière personnelle est par exemple très présent chez les officiers mémorialistes étudiés. Le sentiment du déclin des valeurs morales comme de l’esprit de corps, ou la lâche satisfaction face à la mort au combat d’un officier général dont la disparition favorise la promotion, représentent également à coup sûr de solides invariants ! Enfin, la jalousie ressentie à l’égard des corps d’élite, est aussi un sentiment toujours très répandu, les troupes parachutistes se substituant aujourd’hui à la garde impériale.
Si les constantes existent, il est tout aussi enrichissant de constater combien l’évolution de l’éthique a conduit à éliminer nombre de pratiques évidemment condamnables, courantes au début du XIXe siècle, à une époque où les armées vivaient sur les pays conquis. Quel général pourrait être en effet taxé de « plus grand pillard de l’époque » comme le furent les maréchaux Masséna et Soult ?
Enfin, la lecture de ce livre permettra d’alimenter opportunément la réflexion sur le type d’obéissance que l’armée doit encourager en son sein : « l’obéissance passive » et « immédiate » recommandée par les règlements de l’époque est l’apanage des stratégies directes des penseurs militaires qui ont façonné notre culture militaire. Une obéissance plus réfléchie, fidèle à l’esprit de la mission et permettant l’initiative du subordonné, n’est-elle pas préférable ? Il est sans doute temps de se tourner résolument vers le commandement indirect remis au goût du jour par le général Vincent Desportes dans son dernier ouvrage Décider dans l’incertitude (1).
(1) Economica, 2004 ; Défense Nationale, février 2005.