Armes de communication massive. Informations de guerre en Irak : 1991-2003
Depuis 2003, l’Irak est devenu une source inépuisable pour la réflexion stratégique. Restait à observer l’opération Iraki Freedom à travers sa gestion médiatique. C’est l’objet précisément de ce dossier qui s’avère particulièrement destiné aux acteurs confrontés à la dimension médiatique des crises et des conflits. Outre les responsables politiques, les diplomates, les militaires, les journalistes, les analystes des centres de réflexion stratégiques, cet ouvrage très complet s’adresse directement aussi aux historiens. En effet, ce travail démontre que l’étude de l’histoire doit désormais intégrer complètement la place des médias dans l’appui qu’ils apportent aux décisions politiques et militaires. On notera d’ailleurs que l’utilisation des médias dans la conduite d’une guerre avait déjà été clairement perçue par Charles de Gaulle dans son premier livre La Discorde chez l’ennemi, paru en 1924.
En tout, ici, 27 analystes, journalistes, universitaires et responsables de communication ont été réunis dans cette étude en tout point passionnante, tant la dimension médiatique a été essentielle à la conduite de la dernière guerre d’Irak, l’image de l’action semblant devenir le point focal de la décision, du point de vue américain comme du point de vue des adversaires des États-Unis. Citons alors quelques chapitres de ce livre : « Irak 2003 : le road movie », « La BBC dans la tourmente », « La presse canadienne et la guerre », « Embedded : le reportage de guerre live » ou encore « La stratégie médiatique du régime irakien ». L’ouvrage a donc le mérite de rassembler les multiples pièces d’un feuilleton qui s’est joué en quelques mois et en plusieurs points clés de la planète. Quelque part, il y a donc un lien très fort entre les images des attentats du 11 septembre 2001 diffusées en direct sur CNN et les images des chars Abrams fonçant à pleine vitesse dans le désert irakien filmés par les opérateurs « embedded » des chaînes américaines, puis celles de la prise de Badgad en avril 2003 par les troupes américaines. Avec une différence toutefois, si les auteurs des attentats du 11 septembre ont totalement intégré la théâtralisation de leurs actes, les images de la guerre d’Irak restent celles du reportage de guerre avec leurs imperfections inévitables ; loin parfois du mode de fonctionnement d’un Roman Karmen, le cinéaste de la propagande soviétique, qui, à la recherche permanente de l’esthétique, composa, pour atteindre des objectifs politiques clairement établis, les images les plus marquantes du XXe siècle, celles de la bataille de Stalingrad ou bien de la guerre d’Indochine.
Dans ce dossier très actuel, on retiendra plus particulièrement la partie consacrée à l’évolution de l’environnement médiatique qui se dessine dans le monde entre la première guerre d’Irak et celle de 2003, tendance conduisant à « l’éclatement des points de vue » suite à l’essor des chaînes Al-Jazira ou Fox News. L’un des mérites de ce livre est ainsi d’apporter un éclairage sur ces nouveaux réseaux planétaires et l’importance que peut avoir leur ligne éditoriale. On retiendra aussi les articles consacrés à l’analyse d’opérations médiatiques spécifiquement montées au cours du conflit de 2003 telles que l’affaire des ADM et le sauvetage du soldat Lynch. L’analyse proposée pose également le problème crucial de la place des médias dans la société américaine après le 11 septembre. En effet, comment le journaliste doit-il exercer son métier dans une atmosphère de ferveur patriotique, compte tenu de l’extrême sensibilité de l’opinion américaine ? Telle est l’une des questions centrales de ce livre, posant ainsi un véritable défi pour l’avenir de la relation transatlantique. Instrument de travail, cet ouvrage se referme sur une très riche bibliographie et propose plusieurs schémas sur les mécanismes actuels des campagnes médiatiques orchestrées par la Maison-Blanche et relayées par les médias américains. Incidemment, cet ouvrage constitue aussi un argument de poids pour la création d’une chaîne française internationale d’information décidée récemment par le gouvernement français.