Livre gris sur la Sécurité et la Défense
Livre gris sur la Sécurité et la Défense
À la question actuellement agitée de l’opportunité de rédiger un nouveau Livre blanc sur la Défense, le général (2S) Loup Francart répond avec conviction et de manière très argumentée « oui » dans son dernier ouvrage intitulé Livre gris sur la Sécurité et la Défense.
La thèse qu’il développe à l’appui de son affirmation est que pour recouvrer sa lisibilité perdue depuis le 11 septembre 2001, notre politique de défense et de sécurité doit procéder d’une vision plus globale de la sécurité où les aspects économiques, sociétaux et environnementaux ont toute leur place car, et c’est là le cœur de son propos, défense et sécurité sont désormais étroitement liés. Toutefois, aucun de ses aspects ne pouvant être maîtrisé au seul niveau national, notre politique de défense et de sécurité doit être conçue dans un ensemble d’organisations et de réseaux européens ; il est vrai, encore difficile à définir en raison des incertitudes qui pèsent sur la Pesc.
L’auteur estime en effet que la France demeure dans ses songes et que sa prise de conscience de la nouvelle réalité ne dépasse toujours pas le stade du discours. Or pour répondre aux nouvelles menaces, il convient de substituer à la stratégie de la guerre froide qui est celle de la planification liée au savoir, une stratégie de la connaissance, liée à la capacité de « penser la pensée » pour anticiper « ce qui ne semble pas pensable ».
À cet effet le général Francart propose d’appréhender la défense contre les menaces extérieures et la sécurité contre les menaces intérieures, au sein d’un concept global de « sécurité nationale » et de fixer trois objectifs à notre politique de sécurité nationale – la sécurité et la défense des intérêts et des valeurs de la France, la contribution à la sécurité et à la défense de l’Europe, la contribution à la stabilité internationale – reconnaissant que les axes de notre politique actuelle en sont assez proches mais peu lisibles faute d’être clairement définis, notamment en ce qui concerne la sécurité collective européenne qu’il est urgent de réaliser.
Cette nouvelle politique devrait, selon lui, répondre en priorité à la menace principale que constitue le terrorisme et contribuer à son extinction par un combat ciblé – tarissement du recrutement du réseau Al-Qaïda, séparation du spirituel et du temporel dans l’Islam, stabilisation économique et politique des pays musulmans et normalisation de la situation des immigrés dans les pays occidentaux – le concept américain de son éradication par une guerre totale n’ayant pas, à ce jour, obtenu des résultats probants. Pour mener ce combat il préconise, en particulier, la création d’une force internationale de contre-terrorisme.
Dans ce contexte, le rôle des forces armées serait de participer à la sécurité et la défense du territoire français et européen, de préserver les intérêts français hors du territoire national et de participer aux actions de prévention et de stabilisation des conflits et des crises. Des quatre fonctions stratégiques du Livre blanc, l’auteur conserve la protection et l’intervention (projection), substitue ce qu’il nomme la suasion (du latin suadere, convaincre) à la dissuasion sans renoncer au nucléaire, ajoute l’insertion (participer aux organisations et actions internationales, aider au rayonnement de la pensée militaire française, convaincre les opinions) et la décision (renseignement, commandement, et réticulation, c’est-à-dire organisation de réseaux influents).
Comme l’auteur en exprime la crainte, le lecteur reste sur sa faim car ce livre ne recèle pas de véritables nouveautés conceptuelles, le caractère global de la lutte contre les menaces extérieures et intérieures de toutes natures ayant été maintes fois affirmé. L’auteur n’apporte pas davantage de réponse à la question de la pertinence de notre concept de dissuasion, se bornant à constater l’évidence de son inadaptation à la menace terroriste, se prononçant pour des mesures conservatoires en ce qui concerne notre arsenal et proposant une utopique force internationale antimissiles pour s’interposer dans un conflit entre deux puissances menaçant de recourir au nucléaire.
En revanche, en négligeant le discours convenu sur le déclin de notre pays et l’immobilisme de notre pensée militaire, le lecteur trouvera dans la stratégie d’influence que prône l’ouvrage une réponse intéressante à notre dilemme national de l’être et du paraître. Au-delà des analyses fouillées et des typologies qu’affectionne l’auteur et qui transforment parfois son livre en manuel d’instruction, le véritable intérêt du propos est qu’il offre une alternative crédible à la pensée hégémonique américaine. Il propose un sens à notre politique de défense et des raisons d’agir pour préserver notre liberté d’action bien que nous n’ayons plus tout à fait les moyens d’y parvenir seuls. Promouvoir nos conceptions et nos principes, être l’inspirateur et le moteur de l’action collective puis y participer à la hauteur de nos capacités, ce n’est pas être arrogant, présomptueux ou égoïste, c’est vouloir défendre nos intérêts et demeurer ce que nous avons toujours été et sommes encore : une grande nation. Et pour cela, si nous n’avons plus tous les moyens d’être puissant, au moins sachons, nous dit le général Francart, être intelligent.♦