France-Otan, vers un rapprochement doctrinal ?
France-Otan, vers un rapprochement doctrinal ?
André Dumoulin est bien connu des lecteurs de Défense nationale et sécurité collective par ses analyses fécondes et affûtées de l’Europe de la défense et de l’Alliance atlantique. Son dernier article en juin 2006 était particulièrement éclairant et donnait envie de pousser plus loin. C’est chose faite grâce à France-Otan, vers un rapprochement doctrinal ? qu’il a dirigé chez Bruylant. Comme l’indique le sous-titre, il s’agit d’aller au-delà du 40e anniversaire de la crise franco-atlantique. Les différentes contributions viennent d’auteurs belges travaillant aux études stratégiques : jeunes doctorants ou chercheurs plus confirmés, ils allient la proximité francophone et le recul qu’autorise leur nationalité.
Le premier chapitre évoque la culture stratégique française : dans la première partie, Alain de Neve donne en une quinzaine de pages un éclairage passionnant d’un sujet en apparence rebattu. Tanguy Struye de Swielande trace ensuite les visions géopolitiques contrastées de la France et des États-Unis. Mais le point d’orgue qui suit cette mise en bouche est donné par le chapitre 3, où André Dumoulin explique le jeu triangulaire entre la France, l’Otan et la PESD : cinquante pages fameuses où l’esprit de synthèse permet les grandes perspectives et la compréhension d’ensemble, tandis que les épisodes successifs sont évoqués au fur et à mesure, avec la quantité de détails juste suffisante pour satisfaire la curiosité de l’honnête homme, mais sans l’excès des citations qui caractérise souvent les travaux universitaires. M. Dumoulin réussit là un ensemble harmonieux qui fera date et permet au lecteur de sortir de sa lecture avec des idées nettes et des informations précises. Il retiendra surtout que le pragmatisme est devenu une vertu française.
Les chapitres suivants sont plus spécialisés, et plus inégaux. On retiendra une étude précise des doctrines nucléaires (André Dumoulin, encore), et quelques bonnes pages sur les convergences technologiques. Le chapitre traitant des opérations est décevant, et comporte une affirmation qu’il faut à notre sens démentir : « En vertu des accords de Berlin Plus, investir dans ces structures revient à augmenter les capacités européennes… en permettant à la France d’européaniser autant que faire se peut l’Otan, une récurrence gaullienne ». La politique de la France consiste justement à bien séparer les opérations otaniennes et les opérations européennes. De ce point de vue, « Berlin + » n’a été qu’un moment diplomatique, mais ne doit justement pas devenir une habitude, au risque d’hypothéquer l’autonomie de la PESD. C’est d’ailleurs ce que suggère Joseph Henrotin un peu plus haut, lorsqu’il affirme très justement que « malgré les appels à faire croître ses racines politiques, l’Otan devient peu à peu une alliance d’opportunité » : la formule est jolie et mérite d’être retenue car elle décrit bien l’attitude française envers l’Otan. Certains esprits sagaces trouveraient d’ailleurs qu’elle s’applique également fort bien à l’Amérique.
Finalement, ce livre n’échappe pas au défaut des recueils d’études savantes : il est inégal. Toutefois, il présente trois avantages : la direction éditoriale de M. Dumoulin a permis un plan homogène et cohérent, au lieu de l’amoncellement disparate que l’on déplore fréquemment : en ce sens, le titre de l’ouvrage a été trouvé avant l’appel à contribution, et non l’inverse ; et l’ensemble apparaît harmonieux et de très bonne facture ; il échappe aux vieilles rengaines historiques et descriptives que suscite ce sujet et qui, remontant jusqu’à de Gaulle, constatent que, oh ! stupeur, les temps ont changé ; surtout, les meilleures pages font référence : qui veut comprendre la politique de défense de la France en Europe, et donc la complexité des rapports avec l’Otan et la PESD, devra avoir lu ce qui est écrit dans cet ouvrage.
Trois raisons importantes qui militent en sa faveur, même si on retiendra surtout les meilleures pages d’André Dumoulin. ♦