Allemagne, chronique d'une mort annoncée
Allemagne, chronique d'une mort annoncée
Dans cet ouvrage paru avant les élections de l’automne 2005, Yves-Marie Laulan n’y va pas par quatre chemins pour nous parler de mort, en invoquant le double patronage de Gabrielle Garcia Marquez et de Simone de Beauvoir. La mort dont il s’agit ici, illustrée par l’impressionnante image de couverture, est en l’occurrence ni plus ni moins que celle de l’Allemagne.
Voilà de quoi surprendre, car il est exact que nous conservons en France de ce pays une image « anachronique et idéalisée », d’abord parce qu’il nous a fait très peur et a prouvé vis-à-vis de nous une vigueur guerrière peu commune en moins d’un siècle, ensuite parce que nous sommes restés béats d’admiration après l’année zéro devant le fameux miracle économique, bâti selon le modèle rhénan sur le soutien américain, la main d’œuvre abondante des « Aussiedler » comblant les « brèches béantes » laissées par la guerre dans la population, la cogestion garante de paix sociale, enfin la présence d’hommes providentiels et les économies réalisées dans le secteur de la défense. La réunification aurait pu annoncer une apothéose, la naissance (ou la renaissance) d’une puissante Mitteleuropa. Or l’auteur se montre très sévère sur le bilan global de ce regroupement, qui n’a apporté selon lui que « des déceptions et des charges supplémentaires », et sur la situation actuelle des Länder de l’est : « échec cinglant… décor désespérément déprimé ! ».
Donc, notre voisine va mal. Son peuple, « imprévisible, fragile et vulnérable », héritier d’un passé « riche en drames », imprégné de pessimisme, se dirige droit vers le suicide. Non pas cette fois dans une ambiance wagnérienne, mais entrant à petit feu dans une « lente agonie ». L’analyse est rigoureuse et dévastatrice : entreprises, banques, universités, transports, armées… niveau alarmant des indicateurs économiques, boulet du Bundesrat traité « d’obstacle constant à la recherche des réformes », tout s’effondre mollement. La cause la plus grave de cette dégringolade réside – affirme Yves-Marie Laulan – dans la plongée démographique, négligée par une classe politique que n’alarme aucun Alfred Sauvy germanique, et par un monde intellectuel peuplé désormais de « géants momifiés et de septuagénaires de l’esprit ». Une population vieillissante transforme le pays en un grand « parc de loisirs ». Renonçant à « se vivre comme une nation adulte et responsable », elle laisse à la charge de la fécondité turque le colmatage imparfait d’une pyramide des âges « en forme de momie emmaillotée », tandis que le nombre de mosquées a doublé en un an. Les conséquences, exposées aux pages 53 et 54, méritent d’être citées : la population purement allemande passant de 82 millions aujourd’hui à 22 millions en 2100 ; d’ici dix à quinze ans, les immigrés de moins de 40 ans représentant plus de la moitié de la population des grandes villes ; l’allemand risquant de ne pas rester la langue véhiculaire de la future Allemagne.
Absurde, inconcevable, s’écrie notre auteur ! Mais en même temps, il emploie le futur de l’indicatif et annonce que le « seuil irréversible » a bien des chances d’être d’ores et déjà franchi. Épouvanté par son propre constat, il instille une ultime bouffée d’espoir en quelques lignes de postface. A-t-il voulu seulement faire peur ? Pourtant, il a mis jusque-là toute sa force de conviction à proclamer l’établissement irrémédiable de la « maladie de langueur ». Par ailleurs, l’obsession de prendre systématiquement le contre-pied des mesures adoptées par le régime nazi, y compris, les plus efficaces, a conduit, c’est le cas de le dire, à jeter le bébé avec l’eau du bain.
Une politique familiale étriquée, plus un coût exorbitant du travail et une législation écrasante… On a entendu cela ailleurs ! Consacrant un chapitre au couple franco-allemand, Yves-Marie Laulan y voit « l’union de deux faiblesses » et compare le cheminement des « deux cancres de la classe européenne » à celui de l’aveugle et du paralytique. Il est au fond rassurant de ne pas se sentir seul, voire d’être précédé, dans la marche vers le statut « d’espèce en voie de disparition » et de humer en bonne compagnie les « roses du crépuscule ». ♦