Criminalité - Routes des Balkans 2006 : des trafics toujours plus intenses vers l'Union européenne
Malgré les efforts consentis (sous pression de l’UE) par les gouvernements du Sud-Est européen, le trafic de stupéfiants empruntant la route des Balkans connaît un développement notable. Dans le même temps, l’explosion de la production afghane d’opium en 2006 (2004/2005 : 4 100 tonnes, 2005/2006 : 6 100 tonnes) renforce les capacités financières des réseaux criminels tout au long des « routes de la drogue ».
Les masses financières ainsi dégagées, réinvesties dans différents trafics (traite des êtres humains, immigration clandestine, armes, véhicules volés, cigarettes…) et dans l’achat des protections nécessaires (corruption politique, policière et judiciaire) sont ensuite injectées, blanchies, au sein de l’économie licite. Cette fusion avec des activités économiques légitimes nuit aux économies nationales, rend les États les plus fragiles (notamment du Sud-Est européen) dépendants de ces lucratives perfusions criminelles. Cette évolution renforce naturellement la prégnance criminelle sur toute l’économie régionale.
Le Sud-Est européen forme une vaste zone, de la Moldavie à l’Adriatique et de la Turquie aux Alpes, où des États aux capacités et à l’efficacité limitées (mais généralement en progrès) se montrent globalement dépassés par une réalité criminelle solidement ancrée au niveau régional. Au-delà du trafic de stupéfiants, la traite des êtres humains et l’immigration clandestine constituent les formes du crime organisé connaissant, depuis quinze ans, une progression significative.
La région balkanique est ainsi devenue un territoire d’origine, de transit et de destination en matière d’immigration clandestine et de traite des êtres humains. Celle-ci connaît différents visages, de la prostitution au travail et à la mendicité forcés en passant par le trafic d’organes et d’enfants. Il est en effet aisé, une fois la filière constituée, de recycler les itinéraires et les modus operandi déjà éprouvés pour d’autres trafics afin, à la manière d’une PME innovante, de conquérir de nouveaux marchés.
Ces divers trafics s’avèrent pour l’heure difficiles à juguler tant les réseaux criminels, renforcés par la mondialisation, sont souples, adaptables et ingénieux tandis que les États et organisations internationales réagissent avec lenteur et rigidité. En résumé, le crime organisé d’essence balkanique connaît une probable phase d’expansion, mais surtout de reconfiguration du fait de l’accroissement de la pression répressive et de l’amélioration, pour l’heure timide, de la coopération régionale.
La lutte contre le crime organisé entre ainsi dans une période charnière où les réseaux les plus efficaces (les mieux intégrés au sein de l’économie licite) devraient raffiner leurs modes opératoires tandis que les autres (les plus exposés, donc visibles) sont probablement appelés à disparaître.
Les efforts accomplis, notamment par le nouveau gouvernement Berisha (Albanie) connaîtront cependant un impact limité du fait du probable retrait des criminels au Kosovo et dans la partie occidentale de la Macédoine. Une approche régionale, de fait indispensable, doit donc être menée par l’Union européenne. En effet, sans lutte efficace contre la criminalité organisée, pas de stabilisation politique et démocratique, condition nécessaire au développement social et à la préservation des intérêts économiques de la zone. Cette équation limpide impose, puisque les réseaux criminels locaux contrôlent les grands trafics en relation étroite avec d’autres organisations mafieuses internationales, d’assurer de façon comparable, une meilleure intégration des coopérations répressives européennes et internationales. Si les raisons d’inquiétude persistent, la pression de l’UE demeure la seule démarche crédible en vue d’encourager la normalisation de la région.
Ce levier, pour être plus efficace, doit être utilisé fermement. Pour autant, les hésitations européennes entre communautarisme et inter-gouvernementalisme limitent le rayon d’action de l’UE contre les grands trafics.
Les frontières continuent de jouer un double rôle d’obstacle pour les services répressifs et de protection pour les réseaux criminels et les progrès vers un espace européen de liberté, de sécurité et de justice ne parviennent toujours pas à modifier cette situation. Une prise de conscience constitue le préalable indispensable à une action résolue, donc plus efficace de l’UE, dans la perspective de son élargissement annoncé à l’ensemble du Sud-Est européen (1).
Évolution des saisies de la police turque *
|
2002 |
2003 |
2004 |
2005 |
Héroïne |
2 124 kg |
3 546 kg |
6 515 kg |
6 664 kg |
Opium et morphine-base |
316 kg |
897 kg |
4 543 kg ** |
175 kg |
Anhydride acétique |
18 023 litres |
5 917 litres |
99 litres |
1 691 litres |
Résine de cannabis |
3 292 kg |
2 760 kg |
4 331 kg |
6 003 kg |
Cocaïne |
800 kg |
674 kg |
687 kg |
NC |
Drogues de synthèse |
6 807 520 unités |
2 779 172 unités |
8 414 986 unités |
7 043 569 unités |
* L’essentiel de l’héroïne consommée dans l’UE transitant par la Turquie, les saisies de la police turque permettent d’apprécier l’accroissement du trafic, en liaison directe avec les évolutions de la production afghane. Une certaine amélioration des contrôles est également à considérer. La baisse des saisies d’opium, de morphine-base et d’anhydride acétique enregistrée en tendance depuis 2003 semble confirmer la réduction de la production d’héroïne sur le territoire turc tandis que l’augmentation sensible des saisies de résine de cannabis met en lumière la place centrale de la Turquie dans le transit du haschisch en provenance d’Afghanistan, d’Albanie et du Liban.
** Ce chiffre résulte de la saisie exceptionnelle de 4 410 kg de morphine-base en mars 2004 à Istanbul.
(1) La version complète de cette étude est disponible sur le site Internet du MCC : www.drmcc.org (rubrique « notes d’alerte »).