Figures du passé - Abd el-Kader
Dans cette conquête de l’Algérie qui restera l’une des grandes œuvres françaises du siècle dernier, un héros autochtone aura symbolisé, plus de quatorze années durant, la résistance des populations arabes, ce fut Abd-el-Kader. Aucun des adversaires que nous rencontrâmes au cours de cette lente pénétration à travers le pays africain ne le dépassa en témérité, en astuce, en bravoure, et, il faut bien le dire aussi, en noblesse d’âme. Demeuré notre ennemi pendant des années, contraint par la nécessité de déposer les armes et de se rendre à nous — et avec quelle dignité le fit-il ! — il sut conserver, toute sa détention, le souvenir ému de notre générosité à son égard. Bien mieux : retenu par nous en Syrie, il protégea les Chrétiens contre les Musulmans, lors du grand soulèvement de 1860, mettant au service de nos compatriotes assaillis toute son autorité, tout son prestige, si bien que la plaque de grand officier de la Légion d’honneur qui lui fut décernée à cette occasion apparut comme le juste témoignage de notre reconnaissance. Cas assez rare dans l’Histoire, où le vaincu ne redoute pas de s’allier à son vainqueur, succombant sous sa séduction.
C’est au pied de Mascara, dans la plaine des Hachems, qu’Abd-el-Kader vit le jour en 1808. Son père, Mahiddin, y menait, dans une maison blanche, une existence toute patriarcale entre ses enfants et ses serviteurs. Il semble bien que c’était alors un personnage considérable dans sa contrée : prétendant descendre du Prophète, très riche, ayant à la fois la réputation d’un savant et d’un saint, car il avait fait le pèlerinage de La Mecque, il étonnait par sa générosité inlassable, élevant des écoles à ses frais, distribuant des aumônes à droite et à gauche, ami et conseiller des pauvres. Enfin, il avait été persécuté par les Turcs, hommage suprême rendu à son indépendance, nouveau motif de s’imposer au respect de tous.
Abd-el-Kader était son troisième fils, mais aussi le premier enfant mâle de Zorah, l’épouse chère entre toutes, ce qui lui avait valu tout de suite l’affection particulière de son père. Aussi bien, dès son jeune âge, avait-il fait preuve de grandes qualités physiques et morales. Cavalier intrépide, se plaisant aux fantasias étincelantes sous le grand soleil, chasseur-né, d’une vigueur et d’une adresse peu communes, initié, entre autres, par Mahiddin à la science coranique, manifestant déjà, lui aussi, une grande piété, il n’allait pas tarder à s’imposer à son entourage. Son visage pâle, aux traits fins, aux yeux brillants et impassibles, surmonté d’un large front marqué entre les sourcils par le tatouage des Hachems, sa bouche aux lèvres pourpres, son nez aux ailes mobiles et sensuelles, lui donnaient une figure de caractère que l’on n’était pas prêt d’oublier quand on l’avait entrevue une fois.
Il reste 91 % de l'article à lire