On oublie toujours que cette mer Égée, coincée entre Grecs et Turcs, pose des problèmes singuliers. C'est l'un de ceux-ci, à propos du Dodécanèse, possession italienne jusqu'en 1947, que soulève l'auteur.
La démilitarisation du Dodécanèse
Existe-t-il d’autres îles, du type « Malouines », situées cette fois-ci en Méditerranée orientale, dont l’enjeu stratégique serait susceptible, si l’on n’y prend pas garde, d’entraîner les membres de l’Alliance atlantique à des opérations militaires de défense ? Tel serait le risque si l’on devait suivre ceux qui (1) persistent encore à considérer que le Dodécanèse, archipel grec, de la mer Égée, démilitarisé en vertu de traités déjà anciens, devrait rester encore soumis à un tel sort, restrictif de la souveraineté de l’État hellène (2). Mais en réalité, ce ne serait là qu’un malentendu. Pour le dissiper, il suffit de passer en revue en premier lieu les textes préliminaires aux traités de paix de 1947, établissant des démilitarisations en Europe, et en second lieu les traités qui ont suivi et qui ont directement ou indirectement porté sur cette matière, sans qu’il y ait eu toutefois identité complète des parties contractantes dans tous les cas.
Le traité de paix de 1947 avec l’Italie
Le traité de Lausanne de 1923, mettant fin à l’épineuse « Question d’Orient » qui a suscité au début de ce siècle, successivement, des guerres balkaniques, gréco-turques et italo-turques, a pris des mesures restrictives de nature militaire pour les îles de Lesbos, Chios, Samos et Ikaria cédées à la Grèce, « en vue d’assurer le maintien de la paix ». La convention de Lausanne du 24 juillet 1923, concernant le régime des détroits, démilitarisait parallèlement des zones et des îles sous souveraineté turque et grecque. En revanche, pour le Dodécanèse, aucune forme de démilitarisation n’était édictée par le traité de Lausanne de 1923, en vertu duquel la Turquie y renonçait au profit de l’Italie. Toutefois, l’article 16 du même traité de Lausanne réservait l’avenir définitif du Dodécanèse, en prévoyant que « le sort de ces îles a été ou sera réglé par les parties intéressées ». C’était là se référer au traité de Sèvres de 1920, non ratifié, qui prévoyait le rattachement du Dodécanèse à la Grèce, car la grande majorité de sa population était restée hellénique.
Tout en rappelant, en son article 43, les « droits et intérêts » en vertu de cet article 16 du traité de Lausanne, le traité de paix avec l’Italie, signé à Paris le 10 février 1947, comporte un alinéa ainsi conçu : « L’Italie cède à la Grèce en pleine souveraineté les îles du Dodécanèse… ainsi que les îlots adjacents ». Le rattachement du Dodécanèse en 1947 à la Grèce, après la défaite de l’Italie, ne fut donc que la réparation d’une injustice et la mise en œuvre de promesses internationales antérieures. Cependant l’alinéa 2 du même article ajoute : « ces îles seront et resteront démilitarisées » (3), alors que l’annexe XIII sous lettre D, faisant partie intégrante dudit traité (4) donne une définition fort sévère des termes « démilitarisation » et « démilitarisés ». Cette définition vise aussi d’autres îles, devant rester également démilitarisées, en particulier Pantellaria, les îles Pelage et Pianosa, restées italiennes. Cette démilitarisation concerne aussi Pelagosa dans l’Adriatique, cédée à la Yougoslavie. Dans sa Partie IV, intitulée « Clauses militaires, navales et aériennes », le traité impose à l’Italie diverses limitations, dont chacune « demeurera en vigueur aussi longtemps qu’elle n’aura pas été modifiée, entièrement ou partiellement, par accord entre les puissances alliées et associées et l’Italie ou, après que l’Italie sera devenue membre de l’ONU, par accord entre le Conseil de Sécurité et l’Italie ». L’Italie devra collaborer à toute action préventive contre le réarmement de l’Allemagne et du Japon.
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