À partir des ouvrages de Hervé Coutau-Bégarie : La puissance maritime soviétique » (IFRI-Économica, 1984, 198 pages), Jacques Soppelsa & Martine Rémond Gouilloud (dir.), Objectif mer : les institutions face aux nouvelles données de la présence en mer (actes de colloque, Université Paris I Panthéon-Sorbonne, Ifremer, 1985, 396 pages), d'Yves Boyer : Les forces classiques américaines : Structures et stratégies (Fondation pour les études de défense nationale, 1985, 201 pages) et d'Alain Guillerm : La pierre et le vent : Fortifications et marine de l'Occident (préface de Fernand Braudel, Arthaud, 1985, 275 pages).
À travers les livres - À quoi servent leurs marines ?
À quoi servent leurs marines ? Ce sont des marines de l’Union Soviétique et des États-Unis dont nous allons parler ici, pour l’essentiel, en commentant plusieurs livres qui en ont traité récemment. Il s’agit, dans l’ordre de leur parution, des ouvrages suivants : « La puissance maritime soviétique » de Hervé Coutau-Bégarie ; « Objectif mer », actes d’un colloque organisé par Jacques Soppelsa et réunis par Martine Rémond Gouilloud ; « La pierre et le vent » de Alain Guillerm, et enfin « Les forces classiques américaines » de Yves Boyer (1). Tous ces auteurs ont en commun d’être jeunes et de n’être ni des militaires ni des gens de mer, ce qui ne les empêche pas d’avoir des opinions très affirmées sur les stratégies maritimes de notre époque, après avoir réuni à leur sujet une documentation considérable.
Tel est le cas, pour commencer, de « Objectif mer », qui nous présente une situation parfaitement à jour des nouvelles données de la géopolitique dans le milieu marin. Nous n’y insisterons pas, puisque nous avons déjà eu l’occasion de commenter pour nos lecteurs le colloque qui a été à l’origine de cet ouvrage (2). En outre Martine Rémond Gouilloud a publié dans une des dernières livraisons de notre revue un excellent article sur les récentes modifications du droit de la mer, qui constituent la nouveauté la plus spectaculaire (3). Nous pensons, comme cet auteur, que si la nouvelle convention internationale (signée maintenant par 159 États dont la France et l’Union Soviétique), marque une tendance certaine à l’appropriation de la mer par l’extension des « eaux territoriales » et la création de « zones économiques exclusives », elle apporte par contre des garanties plutôt meilleures que la précédente dans le domaine, capital pour la stratégie maritime, de la liberté de la circulation des navires de guerre. On sait d’ailleurs que, après bien des hésitations (partagées par les dirigeants de l’Union Soviétique puisque celle-ci s’était abstenue lors du vote final), les militaires américains étaient plutôt favorables à l’approbation de la convention, et que son rejet a été provoqué surtout par les limitations à la souveraineté nationale et à la libre entreprise qu’elle institue en proclamant « patrimoine commun de l’humanité » les ressources des grands fonds marins. On peut donc penser que c’est par solidarité avec les États-Unis que la Grande-Bretagne n’a pas signé, elle non plus, la convention, d’autant qu’elle pourra profiter de certains de ses avantages en tant que membre de la Communauté économique européenne, puisque celle-ci en est partie. Il est vrai que sa position en matière de liberté de la circulation maritime est devenue ambiguë, depuis qu’elle a créé un précédent dangereux lors de l’affaire des Malouines en proclamant une « zone d’exclusion maritime » de 200 nautiques autour de ces îles, c’est-à-dire sur la même étendue que la « zone économique exclusive ».
Mais il est un autre aspect nouveau de la géopolitique en milieu maritime qui mérite d’être souligné plus qu’il ne l’est généralement. Nous voulons parler, pour employer le vocabulaire de l’amiral Castex, de la multiplication des « perturbateurs » à ambitions et à capacités maritimes, qui résulte de la décolonisation et de l’émancipation du Tiers Monde. En effet sur les 167 États-nations qui sont actuellement reconnus par la communauté internationale (contre une trentaine seulement avant-guerre), 137 sont côtiers et se sont dotés de forces maritimes aux moyens souvent sophistiqués, afin de témoigner de leur jeune souveraineté. Et on ne peut manquer de remarquer que, par les positions géographiques qu’ils occupent, ces États sont en mesure de contrôler les régions et les voies de communication d’où proviennent et par où sont acheminés les approvisionnements en matières premières indispensables à la survie économique et sociale des pays industrialisés. Or, dans le même temps, on constate que la confrontation des deux supergrands, devenue trop dangereuse au voisinage de leur sanctuaire respectif, s’est transférée dans ce Tiers Monde, y provoquant parfois et en tout cas récupérant toujours les crises qui y sévissent de façon latente, par suite de son instabilité sociale, économique et politique.
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