Politique et diplomatie - Le grand communicateur et le marchand de transistors
Au début des années 60, le général de Gaulle, se préparant à recevoir le Premier ministre japonais, Eisaku Sato, aurait eu ce qualificatif cruel : « Un marchand de transistors ». Les « Mémoires d’espoir » (pages 275-276) confirment ce regard condescendant pour le Japon, « bornant jusqu’à nouvel ordre son effort national au domaine économique… ». De Gaulle ajoute : « … ces dirigeants [japonais] très avisés proposent à la France d’échanger plus largement ses produits, ses idées et ses sentiments avec ceux d’un peuple qui, jusqu’alors, lui est resté presque hermétique. Leur requête est entendue. Les rapports franco-nippons vont prendre une dimension nouvelle ». Même le plus remarquable des hommes peut être myope !
La vision gaullienne — plus largement française et même européenne — de l’homme d’État est l’héritière d’une histoire dans laquelle les États-nations, leur grandeur ou leur déclin s’identifient à des rois, des héros (bénéfiques ou maléfiques, réconciliateurs ou diviseurs). Au fond, la Deuxième Guerre mondiale fournit l’occasion d’une de ces tragédies shakespeariennes, interprétées par des caractères d’exception qui s’approprient l’histoire : Hitler, Staline, Roosevelt, Churchill, Mao Zedong… En outre, dans cette démarche, l’action extérieure se définit comme une entreprise machiavélienne ; ce qui importe, ce sont l’art du calcul, le sens de la manœuvre, la séduction ou la duplicité. Le jeu de la sécurité et de la domination, de la vie et de la mort, s’organise en une partie d’échecs sans fin, toute victoire appelant une défaite, toute défaite produisant un désir de revanche. Dans cet univers violent et crépusculaire, le « marchand de transistors » ne saurait être qu’un comparse, tel M. Hulot égaré dans un « western ».
Et pourtant, un quart de siècle plus tard, les puissances (États-Unis, Union Soviétique, Chine…) observent le cas japonais : les transistors, ou les magnétoscopes, ou plutôt l’électronique ne constituent-ils pas désormais la « vraie » force ? Quel est le poids des arsenaux militaires dans un monde régi par l’innovation, la mobilité, l’aptitude à conquérir des marchés ?
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