Réduction des forces et changements soviétiques
Depuis l’accession au pouvoir de M. Gorbatchev, le débat sur la sécurité se développe selon des modes inédits en Union Soviétique, et dans le discours officiel on perçoit des accents nouveaux. Jadis, on raisonnait en termes d’antagonisme irréductible entre les mondes socialiste et capitaliste, et les politiques de défense s’inscrivaient dans la perspective de la préparation d’une guerre victorieuse en cas d’agression impérialiste ; aujourd’hui, on est plus sensible à l’impératif de survie d’un monde menacé dans son existence par les armes de destruction massive et l’on se préoccupe tout autant de ralentir la course aux armements, par des accords avec l’adversaire-partenaire, que de perfectionner un outil militaire dont l’emploi provoquerait des ravages incommensurables. Dans la littérature soviétique, l’idéologie de la lutte des classes a cédé le pas à une philosophie des relations internationales fondée sur la prise en compte des intérêts communs de l’humanité et sur les exigences d’un règlement pacifique des différends ; l’accent a été mis sur le caractère défensif de la doctrine militaire et les pays du Pacte de Varsovie ont annoncé qu’ils se conformeraient, à l’avenir, au principe de la « suffisance raisonnable » dans l’organisation de leurs forces armées et l’acquisition des armements : quant au désarmement et à la maîtrise des armements, ils sont devenus partie intégrante de la politique de sécurité de l’Union Soviétique et on a relevé qu’elle ne voyait plus d’objection à souscrire à des mesures de contrôle se traduisant par des inspections in situ, ni à procéder à des réductions asymétriques, si telle était la condition du rétablissement de l’équilibre à un niveau inférieur d’armements.
Le traité de Washington sur l’élimination des missiles terrestres de portée intermédiaire (décembre 1987) et les négociations de Vienne sur la réduction des forces classiques en Europe (Conventional forces in Europe ou CFE) témoignent de cette inflexion de la diplomatie soviétique, et bien que les controverses aillent bon train sur les implications stratégiques du principe de la « suffisance raisonnable », celui-ci est devenu la pierre de touche de la politique de défense de l’URSS ; les chefs militaires s’y réfèrent constamment, même s’ils insistent sur la nécessité de maintenir des options offensives pour leur permettre d’accomplir leur mission. Faut-il en déduire que la perestroïka dans le domaine militaire est bien engagée et débouchera à plus ou moins long terme sur une réduction drastique des arsenaux nucléaires et des armements de type classique ? Peut-on concevoir que les appareils militaires, qui se font face en Europe, perdront progressivement leur pointe offensive et que les restructurations annoncées contribueront à la stabilité, en dissipant les craintes de frappes préemptives ou d’agressions par surprise ? Enfin, une plus grande transparence des activités militaires et l’adoption de mesures de confiance créeront-elles les conditions favorables à l’émergence d’un système de sécurité global, qui permettrait de ne détourner vers les armements que le « minimum des ressources économiques et humaines du monde » ?
Autant de questions qui restent ouvertes car le débat sur la sécurité par le désarmement se poursuit et on ne peut que se livrer à des conjectures sur l’agencement des variables qui conditionneront son issue. Aussi nous bornerons-nous à évoquer brièvement la politique soviétique en matière de défense et de limitation des armements à l’ère de la « nouvelle pensée » ; après avoir souligné le rôle des experts civils dans l’élaboration de modèles de rechange et marqué les divergences qui les séparent des militaires, nous tenterons de mesurer la signification d’une clarification des doctrines militaires dans la perspective d’un rapprochement Est-Ouest.
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