La manœuvre « Gengis Khan »
Dans un de ses livres (1), l’amiral Castex met admirablement en relief la constante stratégique qu’il relève dans l’action du perturbateur continental par excellence : le maître de l’Asie ou le candidat à la maîtrise du continent eurasiatique. Cette constante, cette idée stratégique qu’il résume sous la forme « effort principal de l’ouest, couverture à l’est » anima, consciente ou informulée, l’esprit des conquérants ou des autocrates de l’est européen. Tout d’abord inscrite dans l’histoire de façon éclatante par Gengis Khan, que la mort seule empêcha de conclure, cette conception fut ensuite perdue de vue par les successeurs mongols engagés à fond, « polarisés », puis dévorés par l’action secondaire plus immédiatement payante. Elle fut ensuite reprise par les tzars avec des fortunes diverses. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, l’action de couverture orientale ne rencontra guère d’obstacle, alors que l’action principale se heurtait au contraire à la résistance obstinée des nations occidentales.
La couverture fut elle-même gravement compromise puis rendue inopérante par le Japon au début du siècle actuel. Après les premières années de la révolution soviétique, pendant lesquelles action principale comme action secondaire furent tenues en échec, les maîtres de l’URSS énoncèrent clairement et officiellement leur ralliement total à l’idée stratégique de Gengis Khan et entreprirent sa réalisation, soutenue par le moteur puissant de la religion marxiste prenant, dans ce rôle, la place du « Yassak » mongol. Protégée à l’ouest par une « sous-sûreté », cherchée dans les traités avec les nations voisines, l’URSS se voua d’abord à la recherche de la sûreté orientale. Après une brève réussite, celle-ci fut battue en brèche par la mainmise du Japon sur la Mandchourie et ses tentatives contre la Chine, par l’échec du communisme dans les pays du sud-est asiatique et l’influence prépondérante des Anglo-Saxons en Moyen-Orient. Dans le même temps, l’Allemagne rénovée et puissante se dressait comme une muraille infranchissable barrant la direction occidentale, menaçant l’existence même de l’URSS.
Au moment où s’achève le livre de l’amiral Castex (1935) la situation peut donc se résumer ainsi : la direction principale d’effort de l’autocrate eurasiatique lui est interdite et la « sous-sûreté » qu’il avait obtenue dans les années 1920-1930 n’est plus qu’une barrière précaire contre la puissance allemande dont le but avoué est de le rejeter en Asie. La « sûreté orientale » n’a pu être obtenue complètement face à une coalition de fait qui unit le Japon engagé dans la conquête de la Chine et les puissances occidentales qui ont refoulé ou neutralisé les tentatives soviétiques dans les presqu’îles australes de l’Asie. Laissant entrevoir le conflit nécessaire de l’Allemagne et de l’URSS, l’auteur ajoute que la « sûreté orientale » de l’URSS ne semble pouvoir être acquise qu’à la suite d’une lutte des Anglo-Saxons contre le Japon, rompant leur coalition de fait.
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