L'auteur, spécialiste de l’Amérique latine, a récemment effectué un voyage en Colombie où il a été reçu par nombre de hautes personnalités. Il en profite pour nous livrer un bilan de la situation de ce pays fort sympathique mais qui connaît bien des difficultés, ainsi qu’un pronostic prudent pour son avenir.
Contrastes colombiens
La Colombie, qui porte orgueilleusement le nom de l’audacieux navigateur génois, éprouve le complexe d’être montrée du doigt sur la scène internationale. Le pays de la violence, du caciquisme, de la guérilla, du trafic de drogue… autant d’accusations malveillantes dont elle est affublée ! Le mérite-t-elle ? C’est la question qu’il convient de poser. Comme dans toutes les situations géopolitiques, il y a un jeu d’ombres et de lumières qu’il faut apprécier avant de condamner ou de louer. Christophe Colomb aurait porté un jugement singulier sur les indigènes rencontrés dans le golfe d’Urabà au cours de son quatrième voyage en 1503 : « Ce sont les meilleurs gens du monde et les plus sains. Ils aiment leur prochain comme eux-mêmes. Ils sont fiers et ne convoitent pas le bien d’autrui » (1). Rêverie ou réalité ? Approchons-nous de la terre de Bolivar pour faire jaillir si possible une étincelle de vérité et pour maîtriser les aspects déroutants de ce pays situé à un des points stratégiques importants du continent américain.
Taches d’ombre
La Colombie est la victime des soubresauts de l’histoire, avec la conquête jusqu’en 1550, la colonisation qui dura deux siècles et demi, l’indépendance laborieusement acquise par Simon Bolivar, le créateur de l’éphémère Grande-Colombie (Venezuela, Colombie, Equateur), et la guerre civile des Mille jours (1899-1902). La violence, latente à toutes les époques, éclate le 9 avril 1948. Le leader de la gauche libérale, le tribun Gaïtan, est abattu en pleine capitale. Et cela devant un concours d’autorités américaines, dont le général Marshall, venues signer à Bogota l’acte de naissance de l’Organisation des États américains (OEA). S’ensuit une décennie de troubles qui entraînent le massacre de 300 000 personnes. L’histoire du pays est aussi lourde de regrets. Tout Colombien instruit évoque souvent les erreurs du passé et les fautes commises par des politiciens sans scrupule qui n’ont pas hésité à brader des territoires frontaliers. La perte de la province de Panama, en 1903, est un souvenir encore brûlant. Pour beaucoup, c’est une épine enfoncée dans la chair colombienne par les États-Unis pour trouver un support au canal transocéanique de l’isthme centre-américain.
Une autre zone obscure est celle de la démocratie. L’exemple colombien d’avoir choisi, très tôt, un système démocratique est cité avec respect en Amérique latine ; il est aussi très connu en Europe. En particulier, l’alternance entre les deux grands partis libéral et conservateur, de 1958 à 1974, a été appréciée, en son temps, dans les vieilles capitales européennes. Toutefois, ce type de régime reste menacé par les dangers du caciquisme, de la concussion et de la violence. Le premier, proche du clientélisme romain, est un produit typiquement latino-américain : c’est un système pyramidal qui ne vit que par le jeu subtil des services rendus du sommet à la base (ex. : appuis, cadeaux, interventions…) et inversement de la base au sommet (ex. : apport de voix et de troupes de manœuvre en cas d’élection…). La concussion, favorisée par la masse d’argent sale issue du trafic de drogue, touche de nombreux hommes politiques et fonctionnaires. Quant à la violence, elle s’exacerbe au moment des consultations populaires. Avant l’élection présidentielle de mai 1990, ont été assassinés le candidat libéral Luis Carlos Galan (18 août 1989), le candidat de l’Union patriotique (2) Bernardo Jaramillo (22 mars 1990) et le commandant suprême du M 19 (3) Carlos Pizarro (26 avril 1990). La désaffection du peuple colombien pour le régime démocratique et son mépris pour les hommes politiques est apparente ; seule une moralisation énergique pourrait y remédier. La puissance de l’État, dit-on à Bogota, repose sur trois piliers : le politique, le religieux et le militaire. Si le premier est pourri et le second déficient, le troisième ne serait-il pas tenté de prendre le pouvoir ? Les augures répondent non ; la démocratie, selon eux, s’est assez affirmée pour dissiper la crainte d’une dictature militaire (4).
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