Maintien de l'ordre et défense
Il n’y a guère de semaine sans que gendarmes mobiles et CRS fassent — contre leur gré et souvent à leurs dépens — la une de l’actualité médiatique, lorsque, casqués et équipés de boucliers, de matraques et de fusils lançant des grenades lacrymogènes, ils sont l’un des acteurs de cet événement aujourd’hui à la fois exceptionnel et ordinaire qu’est la manifestation de rue. Nos concitoyens ont, il est vrai, un goût assez prononcé pour ce mode d’expression des opinions et des revendications. Comme l’a montré Charles Tilly (1), manifester fait traditionnellement partie — au même titre que déclencher ou faire la grève, fonder ou s’affilier à une association, tenir une réunion électorale ou y participer — du répertoire d’actions collectives des Français, c’est-à-dire qu’il s’agit là d’un moyen public et sporadique d’agir en commun sur la base d’intérêts partagés.
Envisagée sous l’angle des problèmes de défense et de sécurité, la manifestation représente une source potentielle de menaces et d’atteintes à l’ordre public, qui supposent l’intervention de forces spécialisées chargées, le cas échéant, de maintenir et de rétablir l’ordre. Ainsi que l’a rappelé récemment l’instruction commune du 18 juin 1992 relative à l’emploi des forces mobiles de la police nationale et de la gendarmerie nationale, cette mission relève de l’autorité civile (2), c’est-à-dire du représentant de l’État dans les départements de métropole et dans les départements et territoires d’outre-mer, qui exerce ses attributions sous l’autorité du ministre de l’Intérieur et de celui des DOM-TOM chacun en ce qui le concerne. Dans cette perspective, le propos de cet article est de montrer, de manière synthétique, en quoi le maintien de l’ordre — entendu comme l’ensemble des mesures de prévention et de répression des troubles collectifs à l’ordre public — est, dans son principe, une mission de défense qui, dans sa mise en œuvre quotidienne, s’apparente à une activité policière.
Le maintien de l’ordre : une mission de défense
S’efforçant de tirer les leçons de l’histoire et de bâtir un système de défense capable de répondre aux menaces d’une guerre aux multiples visages (classique, subversive et thermonucléaire), l’ordonnance du 7 janvier 1959 a jeté les bases d’une conception globale et permanente de la défense, qui se définit aussi bien en temps de paix, de crise et de guerre : « La défense a pour objet d’assurer en tout lieu, en toutes circonstances et contre toutes les formes d’agression, la sécurité et l’intégrité du territoire, ainsi que la vie des populations. Elle pourvoit au respect des alliances, traités et accords internationaux ». Aux termes de cette définition particulièrement extensive que Clausewitz n’aurait certainement pas réfutée en dépit de son orientation exclusivement défensive, est ainsi un fait de défense aussi bien la patrouille effectuée par un Mirage IV des forces aériennes stratégiques que l’arrestation lors d’une manifestation d’un casseur par des policiers en civil, aussi bien l’intervention au Rwanda de légionnaires dans l’opération « Turquoise » que l’ensemble des opérations de contrôle d’identité — de « sécurisation » — menées par les forces de police et de gendarmerie au mois d’août dernier dans certaines grandes villes. Cette affirmation de la continuité de l’impératif de défense face à des menaces aussi constantes que polymorphes a donné naissance à un organisme largement consensuel : la défense nationale, prenant la forme d’un triptyque (au sens pictural du terme), avec un panneau central — la défense militaire — et deux volets mobiles latéraux — la défense civile et la défense économique — susceptibles de se rabattre de manière à rendre hermétique l’ensemble cohérent et homogène ainsi constitué.
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