L'auteur, conseiller auprès du ministre d'État, ministre de la Défense, maître de conférences à l'Institut des sciences politiques de Paris et au Collège interarmées de défense (CID), aborde ses réflexions sur les économies de guerre dans les conflits de faible intensité, objet d'un groupe de travail qu'il préside au sein de la Fondation pour les études de défense (FED). À cette occasion, les lecteurs pourront retrouver des arguments qui ont été cités dans l'article sur les Khmers rouges de juillet 1994.
Les économies de guerre dans les conflits de faible intensité (I)
Avec la disparition de l’URSS, les conflits du Tiers Monde paraissent tout d’un coup vidés de toute signification idéologique. Les motivations des chefs de guerre semblent purement liées à la recherche du pouvoir personnel et de l’enrichissement, qui vont souvent de pair. De la sorte, beaucoup d’observateurs croient pouvoir distinguer deux ères successives : la première, aujourd’hui révolue, serait celle des conflits idéologiques correspondant à la décolonisation et à l’affrontement Est-Ouest. La seconde, qui débute actuellement, serait celle des conflits purement économiques, mafieux.
Cette interprétation ne paraît cependant pas exacte. Certes, aujourd’hui, la détermination économique des conflits du Tiers Monde est bien réelle, mais l’est-elle plus qu’hier ? Le vernis idéologique qui recouvrait les conflits de la décolonisation et de la guerre froide, vernis dont l’importance était, à nos yeux, très exagérée, dissimulait des déterminants économiques tout aussi décisifs qu’aujourd’hui. Si quelque chose paraît bien avoir évolué récemment dans les conflits, ce n’est pas dû à leur passage du politique à l’économique, mais plutôt à un changement de nature et de structure des économies de guerre. Mettons volontairement de côté les facteurs politico-idéologiques et ne considérons que la structure économique des conflits de l’après-guerre : on peut distinguer plusieurs étapes bien marquées.
Les conflits de faible intensité de 1945 jusqu’à la chute du mur de Berlin
Les économies de guerre fermées
Ce premier type d’économies de guerre a été très florissant pendant les années 50 et 60. On peut parler d’économies fermées dans tous les cas où une force de guérilla ou de rébellion opère à l’intérieur d’un territoire sans disposer d’autres ressources que celles qu’elle peut se procurer sur place. La théorie de ces guérillas fermées a été énoncée d’abord par Mao Tsé-toung à partir de 1935 (la guerre populaire prolongée ou GPP). Le combattant doit être « comme un poisson dans l’eau », c’est-à-dire en symbiose avec la population civile, notamment pour ce qui concerne son approvisionnement. Il ne doit compter que sur ses propres forces et ne peut donc attendre aucune aide extérieure. C’est ce type d’économie fermée qui a permis aux communistes chinois de survivre malgré la constante trahison de leurs « frères » soviétiques et d’accomplir, après la Longue Marche, la conquête de leur pays.
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