Présentation
L’année 1994 a été marquée, comme vous le savez, par la publication d’un Livre blanc sur la Défense. Comme il est normal dans un pays comme le nôtre, ce fut l’objet de commentaires, d’approbations, de critiques, d’analyses, et ce débat sur les choix de défense pour la France n’est évidemment pas clos avec la publication de ce document et les discussions qui s’en sont suivies. C’est dans cet esprit que notre conseil d’administration a décidé de consacrer une soirée de réflexion au problème de la programmation militaire et de la prospective, c’est-à-dire de la prise en compte des données que l’on peut prévoir et dont les choix de défense vont naturellement dépendre.
C’était peut-être beaucoup d’ambition de notre part, c’était à coup sûr se placer dans une perspective très générale, mais tout le monde comprend que nous sommes, en ce qui concerne la défense, dans une conjoncture très particulière. Sans doute pour la première fois depuis des décennies, aucun cadre rigoureusement évident ne s’impose quant aux choix à effectuer. J’appartiens à une génération pour laquelle il n’y avait pas d’autre ennemi virtuel que l’Allemagne ; par la suite, d’autres perspectives se sont présentées après la Seconde Guerre mondiale, bien qu’en réalité l’engagement de nos armées n’ait pas eu lieu en Europe mais ailleurs. Quoi qu’il en soit, ces pages sont tournées, le contexte a changé, et par conséquent les choix doivent en tenir compte aussi.
Raison de plus pour que l’on tente d’analyser avec beaucoup d’attention, de rigueur, les données à prendre en considération dans les choix de défense et plus particulièrement dans la programmation militaire, puisque c’est ainsi qu’ils se traduisent. À notre époque, il ne s’agit pas seulement, tout le monde en convient, de choix simplement militaires, ou plus exactement il ne s’agit pas seulement de tenir compte d’un contexte exclusivement déterminé par le volume des armées présentes sur le continent européen ou alentour, d’autres données, sociales, idéologiques, politiques, économiques, monétaires, doivent intervenir dans l’évaluation des risques comme des intérêts dont il faut assurer la défense.
C’est pour cette raison que nous avons pensé à organiser cette analyse à partir du contexte géopolitique, des données économiques, et d’en évaluer les conséquences sur la programmation militaire. Ces trois aspects seront examinés successivement. D’avance j’exprime notre reconnaissance aux intervenants qui ont accepté d’apporter leur contribution à ce débat : M. Pierre Messmer, membre de l’Institut, ancien Premier ministre, ancien ministre des Armées, avec lequel les rapports que nous avons établis lorsque j’ai eu le grand honneur de le servir sont tels que je n’ai d’autre chose à dire que l’intérêt que nous devons accorder à ce qu’il va nous présenter ; M. Francis Gutmann, ancien secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, ambassadeur de France dont l’expérience internationale est indispensable pour l’examen des données économiques, d’autant qu’après les charges diplomatiques qui furent les siennes il assuma les responsabilités les plus hautes dans la conduite des grandes affaires économiques de la France à la présidence de Gaz de France puis de l’Institut français du pétrole ; enfin le général Saulnier, ancien chef d’état-major du président de la République, ancien chef d’état-major des armées, qui nous a fait l’honneur et l’amabilité de venir souvent ici et dont le témoignage comme l’analyse sont irremplaçables pour le sujet que nous avons à traiter. ♦