Politique et diplomatie - Les processus de réconciliation
Les hommes se sont toujours déchirés et se déchireront toujours. Avec le recul du temps, ces affrontements qu’ils ressentent comme essentiels, comme engageant leur être même, peuvent sembler vides de signification aux générations postérieures. Cependant, vient toujours un moment où les hommes, fatigués de s’être entre-tués, se rendent compte qu’il leur faudra finalement cohabiter. Cet ennemi qu’ils s’obstinaient à vouloir soumettre ou même anéantir, il est toujours là, il faudra vivre avec lui et donc se réconcilier — ou plutôt se concilier — avec lui. Alors commencent les négociations, toujours douloureuses (chacun devant mettre de côté sa susceptibilité, son orgueil), toujours longues et incertaines (chacun étant contraint de faire confiance à cet autre qu’il regarde encore comme un ennemi).
En ces années 90, souvent dans le sillage de l’évanouissement de l’antagonisme Est-Ouest, de nombreux processus — internationaux ou internes — de réconciliation (ou de conciliation) sont en cours : évidemment Israël, Palestiniens et Arabes, mais aussi l’Irlande du Nord, l’Afrique du Sud… En outre, un jour plus ou moins lointain, les peuples de l’ex-Yougoslavie, ceux du Caucase, les Algériens, les Turcs et les Kurdes et bien d’autres s’engageront sur le chemin chaotique de la réconciliation. Réfléchir sur celle-ci, c’est au fond reprendre de très vieilles et difficiles questions : pourquoi des hommes, toujours très proches, très liés par une longue histoire commune, certes pleine de bruit et de fureur, se haïssent-ils et se massacrent-ils ? Pourquoi ce qui paraissait impossible — la coexistence pacifique de ces hommes, de ces peuples — devient-il possible ? Tout processus de réconciliation semble devoir réunir quatre types de conditions, les premières d’environnement international, les deuxièmes relatives à la situation des parties prenantes, les troisièmes impliquant l’état d’esprit, le mode même de pensée de ces protagonistes, les quatrièmes enfin d’imagination institutionnelle.
Le poids de l’environnement international
Pourquoi se réconcilie-t-on ? Parce qu’en définitive l’on ne peut pas faire autrement. Toute réconciliation est imposée par la force des choses, par la pression des réalités du moment. Ainsi, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la France et l’Allemagne (alors sa partie occidentale) sont contraintes de s’entendre. Pourtant la France, même si elle sent qu’un nouvel affrontement militaire avec son voisin d’outre-Rhin aurait quelque chose d’absurde, rêve d’un éclatement de l’Allemagne, surtout par le détachement du moyen de sa puissance, la Ruhr. Si la France tend la main à l’Allemagne fédérale (plan Monnet-Schuman charbon-acier du 9 mai 1950), c’est d’abord du fait de la guerre froide : les États-Unis, protecteurs de l’Europe occidentale, marquent clairement que, face à la menace soviétique, l’Allemagne de l’Ouest doit être prospère et forte, donc reconstruite puis armée. Comme le montre, en 1950-1954, l’affaire du projet de Communauté européenne de défense (CED), la France peut obtenir des concessions de forme (armement de l’Allemagne fédérale au sein d’une armée européenne) qu’elle finit d’ailleurs par rejeter, mais elle s’incline sur le fond (l’armement de ce pays). Quant à celui-ci, son fondateur, le chancelier Adenauer, a très bien compris qu’il est exclu qu’il dise non aux États-Unis et que la réinsertion dans les communautés occidentale et internationale exige la réconciliation avec la France, preuve tangible que l’Allemagne n’est plus la nation dominatrice du passé.
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