L'auteur étudie les rapports, parfois conflictuels, entre les institutions démocratiques et les décisions du pouvoir exécutif aux États-Unis, en particulier dès qu’il s’agit de sécurité nationale, donc d’affaires le plus souvent urgentes.
Le citoyen et la sécurité nationale aux États-Unis
L’attentat d’Oklahoma City, un moment attribué à des terroristes extérieurs, a précipité l’Amérique dans une prise de conscience douloureuse de ses propres contradictions en plaçant sous le projecteur de l’actualité de véritables structures de guerre civile. Des milices s’opposent ouvertement aux autorités fédérales, cette contestation allant de la mise en question des droits de l’État fédéral sur les territoires domaniaux, dont une bonne partie sont actuellement des parcs naturels, à la dénonciation d’un « ordre mondial incarné par l’Onu et appuyé par l’Administration », dont l’objet serait « d’assujettir les citoyens américains ». Certains vont même jusqu’à noter les déplacements des hélicoptères militaires au cœur des États-Unis, dans le but de détecter les « manœuvres » préparant cet asservissement au bénéfice d’une « classe transnationale universaliste appuyée sur le FMI, la Trilatérale, etc. » Dans un tel contexte, les tentatives de l’Administration et de nombreux membres du Congrès pour limiter le « droit à détenir une arme » et réduire une insécurité omniprésente sont interprétées non seulement comme une atteinte aux droits « fondamentaux » garantis aux citoyens par le second amendement à la Constitution, argument essentiel de la National Rifle Association, dont les intérêts économiques sont évidents, mais aussi comme une entreprise dont le but ultime serait un asservissement général annoncé.
Les difficultés rencontrées par ailleurs par le président démocrate pour faire valoir sa politique extérieure face à un Congrès républicain souvent plus soucieux de l’opinion intérieure et d’économies aux dépens des mesures sociales que de grande stratégie, conduisent à un sentiment général d’indécision qui confine parfois au dérisoire, comme le montre l’ampleur de la couverture accordée par les médias à la récupération du capitaine Scott O’Grady, abattu en Bosnie. Celui-ci, gêné par tant de notoriété, aurait même demandé au président, pendant leur trajet en limousine vers le Pentagone, de « le pincer pour être certain qu’il ne rêvait pas ».
Pour comprendre le caractère paradoxal de la notion de défense aux États-Unis, il n’est pas sans intérêt de rappeler le fondement de l’identité américaine, tel qu’il ressort de l’histoire de la fédération. Comme le remarquait Tocqueville, la cellule de base de la société est la « communauté », entité réduite à la cité où tout le monde se connaît, et où se règle l’essentiel des problèmes de société. Au-delà se situent le comté, unité administrative aux compétences réduites, et enfin l’État. La fédération est pour la grande majorité des Américains une organisation aussi lointaine que l’Europe d’aujourd’hui pour le Français moyen. Son rôle est essentiellement « subsidiaire » au sens « européen » du terme. Enfin, le président et son Administration sont tributaires dans de nombreux domaines de l’accord explicite ou implicite d’un Congrès qui détient l’arme ultime et absolue de toute politique : les ressources financières. Dans un pays protégé par ses frontières géographiques, l’engagement dans les affaires du « monde d’outre-mer » procède d’une démarche intellectuelle, morale ou économique, qui réclame le développement d’une argumentation spécifique. Seul l’épisode de la menace nucléaire soviétique directe a pu, jusqu’à une époque récente, déclencher des réflexes de conservation donnant à la défense un fondement « naturel ».
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