L'analyse des enquêtes d'opinion (sondages, études quantitatives) menées par l’Ifop entre 1972 et 1976 à propos de la défense, de son organisation, de la conscription et de l'armée de métier, et de la force de dissuasion, révèle : 1) que la période a vu se modifier considérablement les attitudes et les opinions des Français en matière de conception de la défense : de l'hostilité initiale à l'acceptation actuelle de la force de dissuasion, de l'attirance pour l'armée de métier au renouveau d'image du service militaire ; 2) que les différences d'appréciation des Français telles que leurs avis s'expriment par le canal de leurs élus (Parlement, partis politiques) et d'autre part telles que leurs jugements s'expriment à travers les enquêtes d'opinion sont très sensibles. C'est ainsi que la récente prise de position du Parti communiste français sur la force de dissuasion entérine des attitudes prises depuis quelques années par les électeurs du parti
Tel est le sens de l'exposé qu'a fait l'auteur à la journée d'étude organisée le 25 mai dernier par notre revue sur le thème « Opinion publique et défense ». Le texte qui suit est la reproduction de sa communication sous sa forme orale. On voudra bien ne pas tenir rigueur à l'auteur de cette forme inhérente aux circonstances d'origine.
La connaissance des résultats de sondages et d’enquêtes d’opinion, surtout lorsque des questions identiques sont posées à intervalles réguliers, autorise (c’est-à-dire, sans orgueil, qu’il est envisageable) de construire aujourd’hui une histoire du présent.
Il est vrai que sur le plan des principes, il convient de se demander si le « matériel » (les réponses du public) est fiable, mais à partir du moment où l’on admet cette sincérité des répondants, une histoire du présent devient crédible. Or, dans le sujet qui nous intéresse (l’opinion et le service militaire… les Français et l’organisation de la défense…), cette histoire du présent va révéler un décalage entre ce qu’il est convenu d’appeler le pays réel et le pays légal.
Le pays réel, pour nous, ce sont les Français sondés à longueur d’année (peut-être exagérément aux yeux de certains d’entre vous). Le pays légal se compose des relais : parlement, députés et sénateurs, partis politiques… Voici la révélation : le pays légal s’adapte progressivement aux intuitions et aux réalités du pays réel. Il en est ainsi par exemple lorsque M. Baillot et le parti communiste décident « d’accepter » la force de dissuasion : ils ne font alors qu’entériner une opinion que l’électorat communiste partageait déjà depuis longtemps. Autrement dit, le pays réel est « en avance » sur le pays légal, et celui qui s’ajuste aux avis de l’autre n’est pas le « pays réel ».