Satellites et grands drones dans le cadre de la politique spatiale militaire française et européenne
Le rôle des « satellites et grands drones dans le cadre de la politique spatiale militaire française et européenne » est le thème de réflexion proposé par le club « Participation et progrès » (1) à des experts civils et militaires. S’exprimant à l’occasion du colloque organisé le 6 décembre 2004, ces experts, serviteurs de l’État ou de multinationales, spécialistes en géopolitique, en stratégie militaire ou en ingénierie aérospatiale, nous ont livré une analyse très complète sur le sujet.
C’est le fruit de ces réflexions que le professeur Pierre Pascallon a recueilli dans son dernier ouvrage, apportant ainsi sa contribution à une meilleure compréhension des enjeux liés à la politique spatiale française et européenne. Car la problématique offerte à la sagacité de nos experts va au-delà de l’étude comparative des avantages concurrentiels du satellite et du drone. En fait, le véritable objectif est de jauger le poids stratégique et politique que nous apporte la maîtrise du milieu spatial alors que notre économie peine à la financer.
Un premier élément de réponse est l’analogie entre espace et atome osée par certains spécialistes. Selon eux, l’espace – à l’instar de l’atome – donnera à celui qui sait le dominer une place de choix dans le cercle fermé des puissances qui gouvernent le destin du monde. Cette comparaison, entre maîtrise de l’atome et maîtrise de l’espace, illustre parfaitement la différence fondamentale entre un système d’arme spatial de type satellite et un système d’arme aérien de type grand drone. Le premier est une arme politique, le second une arme militaire. De même, le premier est le garant de notre indépendance politique et économique, le second nous offre une vue permanente et précise sur les intentions de l’ennemi permettant au chef militaire de concentrer ces efforts, d’économiser ses moyens et ainsi de garder sa liberté d’action dans le théâtre d’opérations.
On retrouve également cette différenciation à partir de l’analyse des contraintes physiques propres à ces deux vecteurs ou plateformes.
En orbite autour de la Terre, les contraintes imposées par la mécanique spatiale ne permettent pas, à moyen terme, de conjuguer permanence et précision de l’observation. Pour qui peut y accéder, l’espace est donc une sorte de belvédère où l’on peut résider en toute impunité mais qui n’offre qu’une vision générale sur le monde. Il donne au pouvoir politique la capacité de recevoir des signaux d’alerte sur des menaces potentielles. Il lui permet également de diffuser les idéaux et les valeurs qui sous-tendent les objectifs politiques de son pays. Il lui permet enfin d’ambitionner une projection de ses forces armées en tout point du globe en offrant aux militaires : le renseignement nécessaire à la planification d’une opération et les systèmes de géolocalisation (ex. : GPS, Galileo…) et de communication nécessaires à l’efficience des systèmes d’armes et du commandement.
À plus de trente mille pieds, la physique de l’aérodynamique, en limitant la vitesse et l’altitude d’évolution des drones, restreint la libre utilisation de ces vecteurs à leur propre espace aérien. Ce n’est donc pas un outil à la disposition du politique en dehors d’un conflit ouvert. En revanche, si on maîtrise l’espace aérien, il est possible avec un grand drone de se rapprocher de l’objectif et d’obtenir un niveau de détail d’information et une capacité de transmission des informations exploitables par tous les niveaux de commandement militaires. Si on rajoute à ces contraintes les problèmes liés au pilotage et à la mise en œuvre de la charge utile du drone, on constate que ce système est, en outre, dépendant d’une capacité spatiale de communication et de géolocalisation. Nous constatons en définitive que le drone n’est pas un vecteur en compétition avec le satellite. En effet, il n’est pas un outil politique. Sur le terrain du renseignement c’est un vecteur complémentaire du satellite que seule une puissance spatiale peut mettre en œuvre.
Pour compléter et conclure sur ce thème, il est essentiel d’aborder son aspect économique en recentrant la problématique sur le coût d’accès aux technologies spatiales et sur la synergie qui existe entre les besoins militaires et les besoins civils.
Si nous retenons l’idée qu’il existe une analogie entre l’atome et l’espace en matière de géopolitique, nous pouvons sans trop de risque prolonger cette analogie sur le terrain économique. Il y a aujourd’hui plus d’un demi-siècle, la France de l’après-guerre s’était engagée à relever le défi scientifique et économique de la dissuasion nucléaire. Outre un poids diplomatique, les efforts financiers consentis ont donné à notre pays une relative indépendance énergétique et la maîtrise de l’accès à l’espace. L’État, à travers un projet ambitieux, a financé la R&D des entreprises nationales les rendant ainsi compétitives sur la scène internationale. C’était le prix à payer pour ce que l’on appelle communément « le ticket d’entrée » chez les puissances nucléaires.
Aujourd’hui « le ticket d’entrée » dans le club très fermé des puissances spatiales est au moins aussi élevé. Pareillement, renoncer à la maîtrise de l’espace affaiblirait considérablement l’industrie aérospatiale et aéronautique européenne tout comme elle affaiblirait notre indépendance politique. La maîtrise de l’espace, à l’instar de celle de l’atome, est un moteur économique essentiel à l’industrie européenne dans les domaines de l’électronique, de l’informatique et de l’aéronautique…
Les segments des marchés civils sont rares dans le domaine spatial. Celui des télécommunications et plus particulièrement de la diffusion est rentable. Le reste du marché est étatique et économiquement non-viable pour une société de services. L’accès à l’espace repose donc aujourd’hui sur la volonté qu’auront la France et l’Europe à investir financièrement pour se doter de l’ensemble des systèmes spatiaux concourant à l’indépendance politique.
En guise de conclusion, nous invitons les lecteurs passionnés par ce sujet d’actualité à approfondir ce bref tour d’horizon sur la base des arguments et des informations livrées dans cet ouvrage qui rend compte du colloque organisé par Pierre Pascallon. ♦
(1) Ce club est présidé par le professeur agrégé de Faculté Pierre Pascallon.