L’appareil militaire français n’a cessé d’évoluer depuis une quinzaine d’années vers un modèle de plus en plus sophistiqué qui nécessitait un saut qualitatif pour les hommes comme pour le matériel. L’auteur s’attache à montrer les points forts et les limites de cette transformation qui pourrait décorréler les militaires de la société.
Des armées hyperprofessionnalisées
Hyper-professionalized armed forces
The French military apparatus has been constantly evolving, over the last 15 years, towards an increasingly sophisticated model that required a qualitative leap for both men and equipment. The author illustrates the strengths and the limitations of this transformation, which could distance the military from society.
En février 1996, le président Jacques Chirac surprenait les militaires eux-mêmes en annonçant le passage à l’armée de métier et la suspension du service national. On a déjà largement débattu des difficultés inhérentes à cette profonde réforme et des solutions qui ont permis d’y faire face : poids écrasant des rémunérations sur l’activité et l’équipement des armées, maintien du lien armées-nation, condition militaire et exercice de l’autorité. La plus belle réussite de la réforme était certainement l’acceptation par les militaires eux-mêmes de ce qu’ils ont vécu comme une véritable révolution. Leur large adhésion au processus fut moins guidée par leur simple devoir d’obéissance que par les espoirs qu’ils fondaient dans l’édification d’une armée plus efficace. Ils espéraient également être mieux reconnus dans leur mission de défense nationale. Bref, il s’agissait de la création d’un véritable outil de défense, adapté au juste besoin de la nouvelle donne stratégique. Le grand ennemi n’existait plus, de même disparaissait la mobilisation de tous les Français dans le service national. Les armées françaises ne vivraient plus que du volontariat et de « professionnels ».
Une grande partie des réformes qui suivent la publication du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale (2008) peut ainsi être analysée comme une continuation de cette politique : après avoir « dégrossi » les traits d’une nouvelle armée, il convient d’abord d’affûter cet « outil » (précision de nos intentions, de nos missions et des moyens alloués) avant de l’intégrer au catalogue de tous les moyens de l’État visant à produire la sécurité à laquelle les citoyens aspirent. Le maître mot est de maintenir l’avance technologique, financée par une réduction raisonnée du format. Poussant à l’extrême la logique de « l’armée de métier », la défense nationale ne pouvait plus être que l’affaire exclusive d’hommes et de femmes extrêmement entraînés. Ce qui est valable à l’échelon des exécutants, des « opérateurs de première ligne » est également valable pour les cadres de haut niveau, dépositaires quasi exclusifs des doctrines de défense, qui en se compliquant deviennent hermétiques à l’intérêt ou la compréhension des citoyens et de leurs représentants.
L’hyperprofessionnalisation des armées est née de cette mutation, discrète pour nos citoyens, capitale pour nos forces armées, décisive pour nos responsables politiques dont l’outil militaire a plus profondément évolué qu’ils l’imaginent parfois.
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