Editorial
Éditorial
L’été 2011 a été arabe et plus précisément libyen. Il a fallu la combinaison de toutes les stratégies mises en place, politique, juridique, financière et militaire avec un mouvement de convergence tactique d’un certain nombre de chefs rebelles pour que Tripoli et le régime tombent. Une autre révolution commence, civile, sociale, économique, qui va devoir fédérer les diverses forces déployées et créer un État viable, maillon central entre Tripolitaine et Cyrénaïque, Maghreb et Machrek. C’est à une vraie recomposition de l’Afrique du Nord que nous avons contribué par l’emploi déterminé de nos moyens militaires ; elle influence directement le développement et la sécurité de la Méditerranée, et notamment de son bassin occidental, qui est notre voisinage immédiat.
Il est important de relever cette évolution au moment où démarre une mise à jour stratégique. Cette première étape d’analyse va, en effet, enclencher le processus permettant à la nouvelle législature qui sortira des urnes à l’été 2012 d’afficher son niveau d’ambition pour la sécurité de la France et des Français. Et c’est la conjonction de ces exercices qui fondera la loi d’équipements qui devra traduire l’effort militaire réalisable dans le cadre de comptes publics que l’actuelle crise de l’euro contraint comme jamais.
Or la guerre est en mutation permanente comme l’a exposé le Chef d’état-major des armées (Céma) à la rentrée de la 19e promotion de l’École de Guerre en tirant les lignes de forces du monde actuel. Et il est probable que l’aggiornamento stratégique prévu va permettre d’ajouter à l’analyse de la mondialisation faite en 2008, sa contrepartie qui est la régionalisation et l’approfondissement des voisinages stratégiques qu’elle suggère. La participation active à la rénovation d’une gouvernance mondiale qu’imposent la crise financière occidentale et l’émergence de nouveaux pôles de puissance répartis doit avoir en effet son pendant dans la construction de nouveaux espaces de sécurité, de solidarité et de développement à l’échelle régionale. Au contrôle de l’arc de crise Ouest-Est détaillé en 2008, doit désormais s’ajouter l’entreprise de consolidation d’une grande Europe, du Cap Nord au Sahel, de l’Atlantique à l’Oural. C’est dans cet espace, en effet, que nous devons concentrer en priorité nos moyens de sécurité et renforcer nos capacités de coopération stratégique.
Comme l’indique l’ambassadeur Nassif Hitti, c’est tout le monde arabe (et sans doute aussi africain) qui est ébranlé par les révolutions contre les régimes autoritaires ou corrompus. Et c’est à nos portes, chez nos voisins, que se joue une partie stratégique importante.
Comme le rappelle Pierre Hassner, la guerre, la stratégie et la puissance s’articulent aujourd’hui de façon nouvelle ; partielles et relatives dans leur essence, contingentes dans leur développement, elles requièrent de la France une lucidité et des projets nouveaux au moment où les organes de l’Union et de l’Otan semblent se banaliser en de simples caisses à outils.
La vision à établir pour notre sécurité à moyen terme ne doit-elle pas prendre en compte d’abord nos vulnérabilités, intérieures comme extérieures, la tension énergétique comme la criminalisation qui envahit le champ de la conflictualité régionale comme planétaire ? C’est à une vigilance résolue organisée autour de nos valeurs, de nos projets et de nos voisins que nous invitent plusieurs auteurs, à une approche renouvelée de la puissance, à un nouveau regard géopolitique sur une Europe, non seulement continentale mais aussi maritime, une Europe élargie aux confins sahéliens et sibériens. Seul cet espace d’un milliard d’habitants pourrait être à la mesure d’une planète qui en comptera neuf dans quarante ans environ.
C’est donc un effort de lucidité et de mesure qui est demandé à la communauté stratégique française pour animer un débat de qualité et proposer une analyse renouvelée de la sécurité de la France et de la défense des intérêts des Français pour les prochaines décennies. ♦