Pensée militaire - La guerre des images
« Notre appartenance au monde des images est plus fort, plus constitutif de notre être que notre appartenance au monde des idées ». Cette réflexion du philosophe Gaston Bachelard (1884-1962) pourrait servir de référence à la civilisation de l’information dans laquelle nous sommes entrés brutalement à la fin du XXe siècle. Les images se sont en effet imposées comme les supports les plus efficaces de la communication contemporaine. Leur très fort pouvoir affectif procure une plus-value incontestable à l’information en flux continu qui submerge notre société depuis le développement exponentiel des technologies modernes. Mais cette nouvelle donne peut provoquer deux types de réactions dans le village planétaire. D’un côté, elle peut accompagner une dynamique de fascination pour un événement ou un personnage et servir de vecteur conséquent à un message. De l’autre, la diffusion d’une séquence peut au contraire susciter un sentiment de rejet, voire d’exécration, à l’encontre d’une circonstance ou d’un individu. Dans ce cas, l’image servira de plate-forme pour un engagement en faveur d’une cause (par exemple contre une guerre). L’adhésion à une information ou la condamnation de la même information dépend donc, en grande partie, de la façon dont elle est présentée.
Dans cette problématique de la compréhension de l’actualité qui touche largement le grand public, la télévision et le réseau Internet jouent un rôle capital. Mais ces deux puissantes machines de communication, soumises, qu’on le veuille ou non, à la dictature implacable de l’audimat, sont contraintes d’agir fortement sur les fibres ultra-sensibles de l’enthousiasme, de l’émoi, de l’excitation ou du serrement de cœur. Cet « habillage » émotionnel, indispensable pour mieux vendre une information, constitue une source d’altération d’un fait. Les manœuvres artificieuses d’exploitation des images et les techniques de plus en plus performantes qui bouleversent, apitoient ou enfièvrent les téléspectateurs sont devenues des armes redoutables pour orienter l’opinion. La guerre des images, permanente dans notre société hyper-médiatisée et soumise à l’exigence universelle de la sacro-sainte transparence, est donc aussi une guerre psychologique. Dans cette bataille des esprits, la maîtrise de cette forme visuelle de communication est un enjeu majeur pour tous les gouvernants, chefs d’entreprise et états-majors militaires qui doivent s’efforcer de contrôler certaines embardées médiatiques aux conséquences parfois dévastatrices.
Ce constat qui souligne la force des images a été vérifié dans tous les conflits depuis la guerre du Viêt-Nam. Il a notamment revêtu une acuité particulière à l’occasion de l’engagement américain en Somalie (opération Restore Hope) où la présentation en boucle sur toutes les chaînes de télévision du cadavre du pilote d’hélicoptère abattu et lynché par une foule en furie a provoqué un traumatisme durable dans la conscience collective et retourné l’opinion américaine contre l’engagement de ses boys dans une action extérieure qui avait pourtant des buts humanitaires. On imagine l’ampleur du choc émotionnel si le pilote avait été une femme !
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