Pensée militaire - La guerre des images (3)
Les images constituent de précieux relais dans la bataille de la communication qui est conduite par les États. Ce mode d’action porte le nom de stratégie d’influence, une opération qui agit de manière « indirecte, contournée, feutrée » (1) et vise à présenter une situation sous un jour favorable. Les analystes parlent aussi de soft power. Ce concept de conquête des esprits par la séduction se fonde sur le postulat que la méthode de la persuasion est souvent plus efficace que celle de la contrainte par la force, le hard power. Lorsqu’elle est exercée à grande échelle, cette politique habile d’envoûtement s’inscrit alors dans le cadre d’un smart power (pouvoir intelligent). La mise en scène de l’actualité est pratiquée pour fabriquer une réalité et transmettre un message fort, à l’aide d’images bien choisies qui éblouiront la conscience collective.
Dans l’affaire du putsch montée contre Gorbatchev par des conservateurs communistes en août 1991, Boris Eltsine a de la sorte exploité une conjoncture dramatique en se juchant sur un char pour haranguer la foule et condamner fermement les comploteurs. La mise en scène ingénieuse, inspirée par des conseillers en communication madrés, a produit un effet planétaire dans la sphère médiatique. Cet événement, désormais inscrit dans le marbre des grandes péripéties de l’Histoire, présente une dimension symbolique, à la fois offensive et défensive. L’aspect offensif a renforcé l’autorité, et de ce fait la stature de celui qui venait d’être élu Président de la fédération de Russie deux mois plus tôt et qui jouera un rôle majeur dans la région, après la dissolution de l’URSS à la fin du mois de décembre 1991. Le caractère défensif a modifié radicalement l’image du blindé russe qui, depuis les faits bouleversants des interventions soviétiques en Hongrie (novembre 1956) et en Tchécoslovaquie (août 1968), représentait l’emblème de la répression. Le char est soudain devenu le symbole de la bonne cause, celle qui s’oppose à la tyrannie.
La force de l’image reste un ingrédient efficace qui est abondamment utilisé dans les conflits pour agir sur le moral des populations et des troupes. Dès la Première Guerre mondiale est créé un Service cinématographique de l’armée (SCA) qui fusionne par la suite avec le Service photographique de l’armée pour former le SCPA, placé sous la tutelle des ministères de la Guerre et des Beaux-Arts. Ce double patronage a pour objectif de donner aux civils et aux soldats une impression vigoureuse de puissance matérielle et mentale de l’armée française. En 1917, le général Pétain, confronté à des mutineries, renforcera ce dispositif en développant un Service de propagande de guerre avec des journalistes dûment sélectionnés et des « officiers informateurs » triés sur le volet. Des actualités filmées participeront au maintien d’une représentation de la guerre voulue par les autorités pour renforcer l’adhésion à diverses croyances collectives. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les services de propagande des Alliés se sont pareillement servis copieusement du support de l’image dans leur entreprise de conquête des opinions. Sur ce chapitre, le PWB américain (Psychological Warfare Branch) a réussi de véritables coups de maître. Avant le débarquement anglo-américain en Sicile (juillet 1943), les services du général Donovan, l’un des grands inspirateurs de la guerre psychologique, ont déversé dans l’île des milliers de tracts annonçant aux Italiens la prochaine venue de forces de libération pour les délivrer de la dictature fasciste.
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