La pensée allemande, de Luther à Nietzsche
Une illusion naturelle consiste à croire qu’un officier ou un groupe d’officiers, en s’aidant du seul bon sens et sans recourir à raide de la pensée philosophique moderne, est en mesure de parvenir assez aisément à une interprétation générale des données de l’expérience guerrière – de plus en plus complexe et de moins en moins immédiate – et d’en tirer un système militaire pleinement intelligible et efficace. Une illusion de même ordre consiste à s’imaginer que, grâce au même bon sens et sans avoir longuement médité aux sources principales de la pensée allemande, on est capable de comprendre et de juger assez facilement la valeur de la doctrine militaire de nos voisins d’outre-Rhin. Dans l’un et dans l’autre cas, à moins d’être soi-même un grand philosophe, ce qui est assez rare, on risque fort de n’aboutir qu’à un système ou à une vision simplistes.
Les officiers désireux d’approfondir leur connaissance de la psychologie allemande trouveront dans l’admirable livre de M. Spenlé le guide le plus précieux. Au cours de 200 pages à la fois denses et limpides, qui résument de longues années de méditations, ils parcourront du regard les principaux sommets de la pensée allemande, de Luther à Nietzsche. Et, au cours de leur lecture, ils pourront goûter la légitime fierté – M. Spenlé, qui compte dans l’armée française des disciples reconnaissants, ne nous contredira pas – de se dire que la pensée philosophique française, dominée au siècle dernier par la pensée allemande, a seule peut-être atteint de nos jours des observatoires assez élevés pour pouvoir prendre sur la pensée de nos voisins, avec tant d’apparente facilité, une vue aussi étendue. Souhaitons que par des modifications des programmes d’études dont le besoin se fait de plus en plus sentir, on facilite à un plus grand nombre d’officiers l’accès de ces observatoires-là, qui ne seraient pas les moins utiles à notre défense nationale.