La Russie parmi les livres - La Russie d’aujourd’hui
Les héritiers du KGB (1)
Avec le sous-titre « enquête sur les nouveaux boyards », deux journalistes d’investigation ont enquêté pendant plus d’une décennie sur les activités du FSB (Federalnaïa Sloujba Bezopasnosti), qui succéda en 1995 au FSK, service de contre-espionnage qui avait hérité partiellement des dépouilles du redoutable KGB. Ne disposant que de quelques documents publics (le FSB ne divulguant ni son budget, ni ses effectifs, aussi le chiffre annoncé de 200 000 collaborateurs doit-il être pris avec réserve), s’appuyant sur quelques confessions, anonymes, ils se sont efforcés de dresser un portrait collectif de cette « nouvelle noblesse » ou de ces « nouveaux boyards », cette expression émanant de l’un des derniers dirigeants du FSB, Nikolaï Patrouchev. Ils analysent, chapitre par chapitre, les grandes prises d’otages, comme celles de Nord-Ost, en octobre 2002 à Moscou ou de Beslan en août 2004, opération qui se solda par la mort de 334 otages dont 186 enfants. Ils dressent un bilan forcément partiel des enlèvements ou assassinats de séparatistes tchétchènes et autres opérations menées à l’étranger. Ils fournissent également des informations sur l’appareil de propagande, les services de renseignement, les hackers informatiques, et sur le monde souterrain, ces centaines de galeries souterraines construites le long des rames de métro moscovites. Les liens avec le sport sont aussi largement connus, le FSB ayant repris au cours des années 2000, le contrôle de la grosse mécanique du Dynamo, lieu commode de rencontre, d’observation et d’échanges d’information. En revanche, en dehors de noms familiers de dirigeants issus du sérail qui, comme Sergueï Ivanov ou Igor Setchine, sont connus de tous les observateurs, peu d’indications précises sont fournies sur les ramifications dans le domaine des affaires, de la presse ou du secteur bancaire et judiciaire. L’articulation entre FSB et renseignement militaire est peu éclairée, faute de données précises. Le livre des deux auteurs est ainsi intéressant mais ne contient, par nature, aucune élucidation nouvelle ou éclairage véritablement original. Écrire d’emblée, comme ils le font, que Vladimir Poutine a conféré en 2000 au FSB un rôle nouveau, celui de garantir la stabilité du régime politique, en un mot de défendre le pouvoir présidentiel est une affirmation qui a sa part de vérité mais apparaît réductrice. Car la stabilité du « régime » est assurée par d’autres instruments : le parti Russie unie et le « Front national » depuis l’automne 2011, l’armée, la milice devenue police, les gouverneurs, nommés depuis 2004 (2), l’Église orthodoxe, dont le rôle quasi officiel s’affirme de plus en plus, les puissantes sociétés d’État, Gazprom, Rossneft, Rosatom, les banques publiques… De même, si le rôle du FSB est de garantir la sécurité dans son sens le plus large, il pourrait aussi contribuer à faire évoluer le pays vers plus de modernité, comme l’avait fait en son temps Youri Andropov, ardent pourfendeur de la stagnation brejnévienne.
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