Le 1er mai 1960, l’Union soviétique abattait un avion espion américain du type U-2 en vol à très haute altitude au-dessus de son territoire et capturait son pilote, Gary Powers. Cet épisode en pleine guerre froide a levé un voile sur l’acquisition du renseignement par les États-Unis et provoquait une crise diplomatique grave que Moscou sut instrumenter à son profit. Paradoxalement, 60 ans après cet échec, ces avions U-2 - constamment modernisé – poursuivent leurs missions avec de nouveaux capteurs.
Il y a 60 ans : l’URSS abattait un avion espion américain U-2 (T 1169)
U-2S Dragon Lady (US Air Force)
On May 1, 1960, the Soviet Union shot down an American U-2 spy plane flying at very high altitude over its territory and captured its pilot, Gary Powers. This episode in the midst of the Cold War lifted a veil over the acquisition of intelligence by the United States and caused a serious diplomatic crisis that Moscow knew how to orchestrate for its benefit. Paradoxically, 60 years after this failure, these U-2 aircraft - constantly modernized - continue their missions with new sensors.
Le 1er mai 1960, la défense sol-air soviétique parvenait à intercepter et détruire le U-2 piloté par Gary Powers (1929-1977) qui effectuait une mission d’espionnage au-dessus de l’URSS. En pleine guerre froide, cette affaire eut un retentissement mondial mettant en lumière, d’une part, les pratiques d’espionnage et en révélant, d'autre part, l’intense compétition entre les États-Unis et l’Union soviétique (lire à ce sujet notre chronique « aéronautique » de juillet 1960).
L’acquisition du renseignement était un élément clé pour Washington avec notamment l’utilisation de vecteurs aériens spécialement développés pour survoler sur de grandes élongations l’immensité soviétique mais aussi pour pouvoir échapper à l’aviation de chasse. Lockheed avec sa structure dédiée et secrète – les Skunkworks project – avait ainsi développé à partir de 1955 un appareil spécifique, le U-2 capable de voler à 70 000 pieds (environ 21 000 m) et disposant d’une charge utile constituée initialement de caméras et d’appareils photographiques. Par contre, sa vitesse restait inférieure à mach 1 et sa manœuvrabilité étant réduite, le pilotage était très exigeant et demandait donc des pilotes aguerris.
La cible était l’URSS, avec des vols de longue durée, obligeant à trouver des bases de départ les plus proches du territoire soviétique, le U-2 n’étant pas ravitaillable en vol. De fait, Washington disposait de facilités au Pakistan sur la base de Badaber, à 18 km de Peschawar. Un premier vol fut effectué le 9 avril et permit de recueillir de nombreuses données photographiques. Les Soviétiques avaient tenté d’intercepter le U-2 mais son altitude de vol l’avait largement mis à l’abri des avions MiG-19. Les opérations étaient conduites par la Central Intelligence Agency (CIA).
Auparavant dans l’US Air Force, Gary Powers a été recruté par la CIA pour piloter cet appareil. Le 1er mai 1960 (cf. plan de vol), les Soviétiques le détectent très vite et l’abattent avec des missiles SA-2 Guideline après l’échec des avions de chasse. Gary Powers peut s’éjecter alors que les ordres étaient de détruire l’appareil en cas de problème et de se « suicider » avec une pilule de poison disponible. Sa capture est gardée secrète quelques jours par les autorités soviétiques tandis que les États-Unis parlent de la disparition d’un avion effectuant des relevés météo. La révélation au grand jour par Moscou des faits avec la présentation de Gary Powers entraîne une tempête médiatique mettant les Américains dans l’embarras. Un sommet prévu à Paris en mai entre Eisenhower et Khrouchtchev, avec l’appui du général de Gaulle, est annulé par le Kremlin trop heureux de cette affaire.
Un procès est organisé à partir du 19 août 1960 à Moscou où le pilote américain reconnaît qu’il effectuait une mission d’espionnage. Il est condamné à 3 ans de prison et échangé le 10 février 1962 sur le pont de Glienicke, entre Postdam et Berlin, contre un espion soviétique arrêté aux États-Unis, William Fischer (1), alias Rudolph Abel. Cet épisode a fait l’objet du film Le pont des espions, réalisé en 2015 par Steven Spielberg.
Malgré cet échec, les Américains continuèrent à se servir du U-2 : c’est ce type d’avion qui permettra notamment de survoler Cuba en octobre 1962 et de documenter l’installation des missiles nucléaires soviétiques, débouchant sur la crise et l’ultimatum adressé par Kennedy à Moscou.
Toutefois, pour compléter le dispositif de reconnaissance, les États-Unis décidèrent de développer d’une part, leurs premiers satellites espions de la famille Corona – appelés également Key Hole – et d’autre part, un avion supersonique à très haute altitude capable d’échapper aux missiles : le Lockeed A-12 Oxcart en service de 1965 à 1968, qui donnât rapidement par la suite le Lockheed SR-71 Blackbird en service de 1968 à 1998.
Les avions U-2 poursuivent toujours leur carrière avec des versions sans cesse améliorées. Il y a quelques semaines, Lockheed Martin Skunk Works a été chargé de mettre à niveau la flotte des U-2S Dragon Lady avec une nouvelle avionique, un ordinateur de mission et un Cockpit Display System (ou planche de bord tout écran) neuf. Cette modernisation doit être achevée pour le début 2022 sur un avion conçu il y a plus de 75 ans. ♦
(1) William Fisher (1903-1971) : né au Royaume-Uni, il rejoint l’URSS en 1920, son père étant un Russe allemand, proche de Lénine. Il intègre le Guépéou en 1927 et va effectuer de nombreuses missions d’espionnage. En 1948, il est envoyé aux États-Unis pour s’occuper des réseaux d’espionnage soviétiques. À la suite de la trahison d’un autre agent, il est arrêté le 21 juin 1957.