Avec les reformes entamées au sein de l’État ces dernières années, la seule mesure de succès semble être la performance chiffrée or, leurs effets peuvent être pervers. Pour l’activité militaires, vocation plus que métier, les critères conventionnels de rentabilité ne semblent pas devoir tenir la première place.
Autonomie et responsabilité : pour en finir avec la dictature des indicateurs (T 105)
« On the folly of rewarding A, hoping for B » (« De la folie de récompenser A en espérant B »). Cet article, écrit en 1975 par un universitaire américain, Stephan Kerr, décrivait comment tous les êtres sélectionnent naturellement l’information qui leur bénéficiera le plus. Il reste d’une brûlante actualité à l’heure où la notion de performance est devenue le principe-clé des restructurations de l’État et des armées, en particulier. Selon Serge Masanovic, expert en management, le pilotage de la performance est « une mesure du degré de réalisation d’un objectif ou d’une stratégie […] ». Transposée au monde militaire, cette définition soulève, à elle seule, de nombreuses questions.
Nombre de penseurs constatent aujourd’hui la difficulté de la France à exprimer une pensée stratégique claire et durable, mais n’est-ce pas la conséquence d’une captation insidieuse des volontés par les sacro-saints indicateurs ? Lorsque le champ de bataille se fait lointain et peu populaire, que reste-t-il, sinon l’espoir de se montrer efficient avec des ressources de plus en plus comptées ? Le risque est élevé, en effet, dans un système fondé en grande partie sur la reconnaissance du mérite personnel, de confondre mesure et objectif, ainsi que le rappelle la loi de Goodhart (« Lorsqu’une mesure devient un objectif, elle cesse d’être une mesure », 1936). La preuve de la générosité des militaires français n’est plus à faire, lorsqu’on observe l’ampleur des réformes accomplies depuis la suspension du service militaire en 1997. Mais il est à craindre que cette bonne volonté soit dévoyée et que les officiers se concentrent, par tropisme culturel et surtout par légitime intérêt, sur la conduite et la réussite de réformes que le culte de la performance semble vouloir renouveler à l’infini.
Le déploiement de méthodes de mesure de la performance au sein des forces armées, héritage de la Lolf (Loi organique relative aux lois de finances, 2006), a introduit une mécanique intellectuelle rigide qui ne remporte pas une franche adhésion parmi les militaires. Ces processus de gestion cachent des effets pervers, déjà dénoncés au sein de l’entreprise, et leur mise en œuvre exige la prudence. Les conséquences se font sentir aujourd’hui et, sans remettre en cause la validité des évolutions actuelles, l’outil de pilotage mérite d’être remis à sa juste place.
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