En cette semaine du 11-Novembre, le général Pellistrandi revient sur la nature même des commémorations de la Première Guerre mondiale et surtout des conséquences, encore présentes dans les conflits d'aujourd'hui, de la Grande Guerre. Alors que les survivants des conflits majeurs du XXe siècle disparaissent peu à peu, maintenir ce jour férié entretient, plus que jamais, la nécessaire transmission de la mémoire collective, outil nécessaire pour l'entretien des forces morales de la Nation.
Éditorial – Le 11-Novembre, un jour férié ordinaire ? (T 1652)
Claude Truong-Ngoc, CC BY-SA 3.0 <https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0>, via Wikimedia Commons
À l’occasion de ce 106e anniversaire de l’armistice du 11 novembre 1918, certains politiques ont semblé remettre en cause le caractère férié de cette date, dans le cadre de la lutte contre le déficit public, avec l’idée que les Français ne travailleraient pas assez. Une nouvelle polémique très politicienne mais, hélas, révélatrice d’une incompréhension du caractère exceptionnel du 11-Novembre – rendu férié en 1922, grâce à la volonté des anciens combattants.
Au-delà des enjeux financiers et budgétaires, au demeurant recevables, penser transformer le 11-Novembre en une simple commémoration serait se tromper profondément sur l’importance historique de cette date et hypothéquer durablement notre avenir, surtout au regard de la réalité géopolitique actuelle. Le temps des « dividendes de la paix » est largement révolu et celui de la confrontation et de la guerre est redevenu une réalité à laquelle nos propres forces armées doivent faire face sur de nombreux théâtres, y compris sur le sol européen.
Il est nécessaire de s’interroger sur la matrice que constitue encore la Première Guerre mondiale dans notre histoire immédiate : le conflit imposé par la Russie à l’Ukraine, avec le rêve démoniaque de Vladimir Poutine de reconstituer l’empire russe, mélange de celui des Tsars et de Staline occupant la moitié de l’Europe jusqu’à l’effondrement du Mur. Il en est de même des cicatrices encore fraîches de la Seconde Guerre mondiale, elle-même fruit de la Grande Guerre. Là encore, le ressentiment polonais à l’égard de Moscou, la culpabilité toujours prégnante de l’Allemagne contemporaine, certes réunifiée mais aux sentiments contradictoires entre les Länder de l’est ou de l’ouest, la résurgence des nationalismes et des revendications territoriales… Autant de plaies non fermées dont les racines plongent dans les champs de bataille de 1914-18.
Il en est de même au Proche et Moyen-Orient, dont les frontières furent tracées à la hache sur les débris de l’Empire ottoman avec les accords secrets franco-britanniques Sykes-Picot en 1916 puis le traité de Sèvres de 1920 procédant au démantèlement de ce dernier empire et la création d’États qui n’étaient pas en mesure de se transformer en États-nation, concept si cher à Ernest Renan et à la IIIe République, mais trop éloigné des réalités géopolitiques, religieuses et ethniques de la mosaïque des peuples de la région. Là encore, une grande part de la situation actuelle prend source dans cette période de la Grande guerre.
Certes, autour des monuments aux morts, il n’y a plus les cohortes des Poilus honorant les noms de leurs compagnons morts au champ d’honneur, il en est de même pour les combattants et victimes de la Seconde Guerre mondiale, tandis que les anciens combattants d’Indochine et d’Algérie se font, eux aussi, de plus en plus rares. Il y a désormais la quatrième génération, celle des Opex, Afrique, Golfe, ex-Yougoslavie, Afghanistan… mais aussi la jeunesse, y compris parmi les porte-drapeaux, les jeunes sapeurs-pompiers, les cadets de la défense, les écoliers, les collégiens entourés par leurs professeurs, eux aussi passeurs de mémoire.
Il y a donc une responsabilité majeure de nos politiques à comprendre que le 11-Novembre est plus qu’une commémoration du passé, fut-il aussi glorieux. Célébrer le 11-Novembre nous oblige à regarder notre avenir en face pour assumer les nouveaux défis d’un ordre international désormais fracturé. Célébrer le 11-Novembre en gardant son caractère férié est plus qu’une dette à l’égard de nos anciens, c’est la condition pour comprendre que la guerre est malheureusement une réalité contemporaine et que pour protéger la paix, la France se doit d’être forte, unie et fidèle à ses alliances, avec une Europe elle aussi consciente du besoin d’être forte face aux menaces qui pèsent désormais sur son avenir. ♦