Cette semaine marque le 1 000e jour de guerre en Ukraine. À cette occasion, le général Pellistrandi revient sur ces 2 ans et demi et l'évolution des opérations, tout en s'interrogeant sur les perspectives plausibles, qui risquent d'être difficiles pour l'armée et le peuple ukrainiens et en rappelant les conséquences pour les Européens de ce conflit qui marque un tournant pour la géopolitique européenne.
Éditorial – Ukraine : 1 000 jours de guerre
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Le 23 février 2022, la situation à l’est de l’Europe est tendue. Moscou accumule soldats et équipements le long des frontières de l’Ukraine. Des discours très durs du Kremlin ne cessent d’accuser les Ukrainiens de provocations et de les menacer. La diplomatie internationale s’active ; la France est, en même temps, engagée dans l’annonce du repli de Barkhane au Sahel : malgré les efforts militaires et les sacrifices de nos soldats, la junte malienne a préféré une fuite en avant…
Notes quotidiennes de l'auteur pour suivre le conflit russo-ukrainien. Des notes pour l'histoire.
Vers 5 heures du matin, mon téléphone vibre. Les Russes passent à l’action et débutent l’invasion de l’Ukraine. BFMTV me demande d’arriver pour passer en édition spéciale… L’« opération spéciale militaire » de Vladimir Poutine a commencé. Ses objectifs : « dénazifier », « démilitariser », « neutraliser »… Comprendre : reconquérir l’Ukraine qui a commis le péché de vouloir regarder vers l’ouest. Au regard du rapport de force, nous sommes tous convaincus que Kiev va tomber dans quelques jours, voire quelques heures. Les flots de véhicules fuyant la capitale vers l’ouest évoquent instantanément pour les plus anciens et les historiens l’exode de 1940. La fin d’un monde et un saut dans l’inconnu. Moscou viole le droit international, bafoue les accords issus de la dislocation de l’URSS. La surprise stratégique arrive toutefois : le commandement russe a, d’une part, dispersé ses efforts (contraire aux Principes de la guerre du maréchal Foch), surestimé ses forces et sous-estimé l’adversaire qui a tiré les leçons de l’humiliation de 2014 avec la saisie spectaculaire de la Crimée.
La résistance s’organise. Certains États européens prennent des dispositions pour accueillir des millions de réfugiés et commencent à envoyer des équipements militaires légers, s’interrogeant sur la capacité des Ukrainiens à se défendre contre le rouleau compresseur russe. Cependant, rien ne se déroule comme prévu. Certes, Vladimir Poutine signe des décrets d’annexion des territoires occupés, mais la guerre se poursuit.
Les années passent, 2022, 2023, 2024… 1 000 jours de guerre pour plus d’un million de soldats hors de combat. Une guerre du XIXe siècle où le Tsar de toutes les Russies pense qu’il peut redessiner les frontières par la force, avec la technologie du XXIe siècle, où les drones sont devenus indispensables dans tous les milieux, de l’air à la mer en passant par les tranchées et les fortifications de campagne, rappelant, hélas, les deux guerres mondiales. Une guerre où la consommation d’obus se compte en millions, alors même que les pays européens se contentaient d’entretenir des stocks de quelques dizaines de milliers pour l’entraînement annuel de leurs artilleurs – une spécialité qui était, d’ailleurs, en perte de vitesse.
Ce sont 1 000 jours de guerre qui ont déjà changé profondément la face de l’Europe. La Pologne est en première ligne, trop souvent humiliée par Moscou. Les États baltes se sentent, à juste titre, directement menacés, tandis que la Suède et la Finlande, des États jusque-là neutres et vraiment pas bellicistes, se sont précipitées vers l’Otan pour garantir leur sécurité. La France est passée en économie de guerre. Sous l’impulsion du ministre des Armées, une nouvelle Loi de programmation militaire (LPM), plus ambitieuse, est votée, tandis que l’industrie de défense se mobilise pour passer en « économie de guerre ». Un exemple emblématique : le canon Caesar, dont les Ukrainiens sont désormais dotés, était fabriqué sur une cadence de deux exemplaires par mois et il fallait trente-six mois pour le produire ; il en faut aujourd’hui quinze et douze engins sortent des chaînes de production chaque mois.
Nos forces entraînent les unités ukrainiennes, y compris dans nos camps de l’est de la France, en s’inscrivant dans la durée. En effet, combien de jours, de semaines et de mois cette guerre peut-elle encore durer ? Certes, l’arrivée de la prochaine administration Trump va rebattre les cartes, mais interroge. Poursuite de l’aide, diminution ou suppression complète au nom d’un nouvel isolationnisme américain ? Il est encore trop tôt pour répondre. Il y a, néanmoins, des certitudes. Tout d’abord, le rejet absolu par l’Ukraine du retour vers la Russie. Les exactions commises par la soldatesque russe dès le début de l’invasion ont creusé un fossé de haine à jamais infranchissable. L’Ukraine regardera toujours vers l’ouest. L’autre certitude reste dans la volonté de Vladimir Poutine de poursuivre cette guerre jusqu’à sa victoire, quel qu’en soit le coût humain. Sa détestation de l’ouest reste intacte, ainsi que sa volonté de dislocation de l’Ukraine.
Les inconnues de l’équation restent encore trop nombreuses, en particulier chez les Européens. Après 1 000 jours de conflit, la détermination de certains semble fléchir, quand d’autres s’accommodent d’une négociation entérinant la partition de l’Ukraine, moyennant des garanties… pas très garanties. C’est ce qui s’est passé en 1938 à Munich et on sait ce qu’il en est advenu.
Les semaines à venir vont être très difficiles, tout d’abord pour les Ukrainiens, les soldats sur le front, mais aussi une population fatiguée par ces 1 000 jours, au risque d’un renoncement par fatalité. Pour les Européens également, confrontés à une épreuve géopolitique sans précédent depuis des décennies.
Jamais l’échiquier mondial n’aura été autant bousculé. Jamais le brouillard de la guerre (dans les frimas de l’hiver) n’aura été aussi épais.
1 000 jours de guerre… ♦