Pour un nouvel indépendantisme - Débat sur la défense nationale ouvert par Jean-Luc Mélenchon
La souveraineté militaire de la France est mise en question. Cette direction est prise sans qu’à aucun moment son avis soit demandé au peuple souverain. Les deux derniers Livres blancs, et les Lois de programmation militaires, sont dictés par l’austérité budgétaire et le retour d’un atlantisme débridé. Ils promeuvent l’insertion de la France dans un ensemble européen sans vision ni stratégie indépendante de celle de l’Otan, donc des États-Unis.
Ces orientations vont contre les intérêts de la France et les principes de la République. Prenant en compte les transformations géopolitiques mondiales actuelles, le Parti de Gauche plaide pour une politique étrangère et un système d’alliances altermondialistes conformes à la vocation universaliste de l’idéal républicain.
Dans cette perspective, il a pris, en février 2014, l’initiative d’une journée de réflexion réunissant des experts des questions de géostratégie et de défense. Ces travaux, au-delà des divergences politiques entre leurs auteurs, ont nourri une réflexion qui a permis la définition d’une vision géopolitique et stratégique pour la France que Jean-Luc Mélenchon a qualifiée de nouvel indépendantisme.
Cahier numérique - Hiver 2015 - 136 pages
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Introduction - Jean-Luc Mélenchon - p. 7-8
Préface - Djordje Kuzmanovic - p. 9-10
La place de la France dans le monde
Depuis la fin de la guerre froide, l'avènement de l'hyperpuissance américaine a marginalisé la notion de puissance dans la pensée des relations internationales. Elle est pourtant un instrument heuristique indispensable et un concept nécessaire à la poursuite des intérêts nationaux et à la construction continuée d'un ordre mondial fondé sur le droit et des relations multilatérales pacifiées.
C'est en observant que la question de la liberté d'action est au cœur de la décision stratégique et que la France a bien du mal à la préserver dans le monde actuel, c'est en détaillant le champ des vulnérabilités du pays, tant intérieures et extérieures qui ont remplacé le champ des menaces qui fragilisaient hier encore sa sécurité, qu'on peut ajuster le contrat de défense à passer avec les forces armées et adapter les moyens à lui allouer.
Pour une ONU plus forte et plus démocratique - Chloé Maurel - p. 27-35
Entravée notamment par les États-Unis qui y imposent leurs vues et intérêts, et de plus en plus liée aux multinationales, l'ONU a perdu en capacité d'action et en crédibilité. Cette instance, plus universelle et démocratique que les arènes qui la concurrencent, a pourtant à son actif des réussites en matière de maintien de la paix et dans les domaines sociaux et environnementaux. D'où l'importance de donner à l'ONU les moyens d'assumer son rôle originel.
Redonner une stratégie à la France - Benoist Bihan - p. 36-41
En matière de défense, la France manque de stratégie – un ensemble d'objectifs de puissance clairement formulés, assorti d'un choix de moyens pour les atteindre. Pour la rebâtir, il faut rompre avec la conception libérale de la sécurité internationale fondée sur des principes abstraits, mais également avec l'irénisme et la vision technicisée et dépolitisée qui caractérise la doctrine française de la sécurité nationale. La refondation stratégique passe par la récupération de la capacité à penser de manière souveraine pour adopter des solutions spécifiques adaptées à la singularité de la France.
Sans vision stratégique, l'exécutif français est aveugle aux transformations de l'équilibre des puissances. La pratique de la guerre extérieure sans vision politique se banalise. Cette impasse va de pair avec l'enlisement dans une idéologie occidentalo-atlantiste de substitution contraire aux principes et intérêts de la France, et l'affaiblissement d'un appareil de défense érodé par l'austérité. La France est une nation à vocation universaliste. Elle doit revoir ses alliances en conséquence, tout en se redonnant les moyens de l'indépendance.
Des armées et des citoyens
Cet article revient sur deux décennies de démantèlement de l'institution militaire, marqué entre autres par la fin du service militaire. Face au discours des thuriféraires du « soft power », l'auteur rappelle que la réduction de notre appareil de défense est une faute vis-à-vis de la sécurité des Français. Il est urgent de redonner à l'institution militaire les moyens d'assumer ses rôles. En replaçant notamment le citoyen au cœur d'une défense qui requiert l'engagement de tous.
Dislocation des États-nations, domination de l'oligarchie et dépossession de la souveraineté par des entités supranationales sont autant d'attaques contre la République sociale et autant de raisons de sortir de l'Otan. L'atlantisme entraîne une confusion entre défense et sécurité qui est un péril pour la démocratie.
Le rapprochement entre Nexter et KMW signe le passage d'un fleuron de l'industrie française de l'armement dans le secteur privé. Alors que l'histoire montre qu'il est possible d'adapter les arsenaux à l'intérêt général en leur confiant une dose de production civile, la logique capitaliste conduit à une perte du savoir-faire français et donc à l'abandon de la souveraineté nationale. Cette capitulation n'est pourtant pas une fatalité ; la République pourrait maintenir un outil d'armement adéquat en créant un pôle public de la défense, à l'abri des diktats du marché.
La loi du 19 juin 2014, qui autorise les sociétés privées de sécurité à protéger les navires français contre la piraterie, signe le désengagement de l'État de cette fonction régalienne. Contraire au droit international et anticonstitutionnel, elle expose les marins et les employés au flou juridique et risque de conduire à terme à la privatisation totale de la protection en mer. Seule la création de véritables syndicats de militaires constituerait un rempart contre ce mouvement.
Les armées privées se généralisent. Pourtant, la défense nationale, les guerres ne peuvent répondre à la logique de profit. Pour des raisons évidentes d'humanité, la performance des forces nationales doit se mesurer par leur capacité de dissuasion, et leur contrôle par l'État-nation doit passer par la maîtrise de son industrie de défense et l'implication de son peuple avec le retour à un service national universel qui devra être redéfini.
L'histoire du service militaire montre son importance dans la formation de la République française, l'édification de sa sécurité et la défense de ses institutions. Creuset de l'égalité et du civisme, basé sur le devoir de servir ensemble la collectivité, il fut pour le citoyen un acquis tout aussi fondamental que le droit de vote. Sa suspension s'est avérée dommageable pour le lien armée-Nation et pour l'intégration. Le rétablissement du service national à composante militaire, obligatoire pour tous, hommes et femmes, est vital pour l'avenir de la Nation.
Objectifs stratégiques et moyens
Les faits sont là, incontournables. Loin d'avoir été sanctuarisée, la défense des Français va payer très cher les restrictions budgétaires. La Loi de programmation militaire, qui a été adoptée par le Parlement, a organisé la poursuite de la déflation rapide des effectifs et a entraîné une forte diminution de nos capacités à agir militairement sur et à l'extérieur du territoire national. Les conséquences, opérationnelles et stratégiques, sont lourdes, les risques sécuritaires majeurs.
La maîtrise des armes, objet de l'industrie de défense, est une condition essentielle de l'indépendance nationale. Pour qu'elle subsiste, il convient de maintenir un certain niveau de recherche et de production, tout en veillant à protéger les technologies clefs. La dépendance à l'égard des fournisseurs et des clients étrangers est à proscrire, et les coopérations internationales ne doivent pas mettre en cause notre autonomie. Réaliser ce programme n'est possible qu'en soustrayant ce domaine à l'horizon court du marché pour reconstruire une planification de long terme, contrôlée par les élus de la Nation.
Les États-Unis, suivis en cela par la France, justifient le recours à la collecte de données en masse et à la surveillance généralisée par une volonté de renforcer la sécurité. Ces évolutions ne peuvent conduire qu'au chaos, les systèmes d'information et de communication n'étant pas en mesure de remplacer la présence humaine sur les théâtres d'opération.
L'auteur appelle la gauche à se saisir des questions militaires, au moment où une « révolution militaire » a commencé, marquée notamment par la généralisation des sociétés militaires privées et la confusion entre forces militaires et forces de police et de gendarmerie. Le monopole de l'État sur les armes de guerre et la séparation nette entre forces militaires et « constabulaires » est pourtant une des conditions de la démocratie. Il est urgent que le peuple français se réapproprie ces questions.
La politique de défense nationale passe par la cohérence entre le message diplomatique de la France et les moyens militaires à disposition pour atteindre ses objectifs. Pour y parvenir, Paris doit s'émanciper de la tutelle états-unienne et réaffirmer sa souveraineté. Elle sera alors en mesure de porter avec crédibilité un message universel au monde.
La riposte aux attentats du 13 novembre doit bannir toute forme de dérive identitaire, d'état d'exception permanent ou de « guerre au terrorisme », qui contribueraient à renforcer Daech. La lutte contre cette organisation terroriste nécessite l'unité du peuple français, un renforcement significatif des moyens de l'État, en matière notamment de renseignement humain, et enfin une action à l'échelle internationale reposant sur une révision de nos alliances et de notre stratégie.
Conclusion
Pour un nouvel indépendantisme - Jean-Luc Mélenchon - p. 125-136
La révolution citoyenne doit signer la récupération complète de la souveraineté du peuple, y compris dans le domaine de la sécurité collective. L'indépendance du pays est la condition initiale de la démocratie. La République doit s'émanciper de la tutelle des États-Unis, puissance agressive aux abois, et se libérer du carcan de l'Otan et des traités européens, afin de faire face aux défis de la mondialisation et du changement climatique en toute autonomie. Plutôt que de compter sur l'illusoire politique de défense commune de l'UE, elle doit construire un nouveau système d'alliances altermondialiste respectueux du droit international et soutenu par une défense adaptée à ses ambitions.