Militaire - L'effort militaire de la Suisse
L’épreuve que connut la Suisse de 1939 à 1945 et qui l’obligea à maintenir en état de mobilisation la plupart de ses concitoyens lui confirma la valeur de son système militaire : celui-ci avait, en somme, préservé le pays des affres de la guerre. De plus, notre voisine espérait qu’une longue période de paix allait s’établir pour permettre de relever les ruines mondiales, plus importantes que celles de la guerre 1914-1918.
Mais la situation en Europe (coup d’État communiste à Prague en février 1948) et la menace que l’Union soviétique faisait peser sur la paix obligèrent les autorités helvétiques à améliorer leur défense et à porter leur budget militaire de 300 millions de francs suisses en 1947, à 400 M en 1948. Puis les événements de Hongrie et l’affaire de Suez (1956) les incitèrent non seulement à accentuer leur effort mais à réviser leur doctrine militaire.
Sur le plan matériel, l’armée suisse dut se moderniser et, en fait, entrer dans la course aux armements. Or, la complexité croissante des armes ne permettant plus une instruction à court terme, le haut commandement se trouva placé devant des problèmes de plus en plus ardus et en opposition avec le pays, attaché fermement au principe de l’armée de milice.
En 1951, un programme d’armement fut établi qui prévoyait, répartie sur dix ans, une dépense de 1,5 milliard de francs suisses, à laquelle devaient s’ajouter les dépenses courantes, de l’ordre de 500 M par an à partir de 1953. Le montant de ce programme fut finalement fixé à 1 684 M et son exécution doit être terminée en 1960 ou 1961. Or, fin 1958, 1 540 M auront déjà été employés, car en décembre 1956 de nouvelles dépenses d’armement avaient été décidées : mises en service d’un fusil automatique, renforcement de la défense antichars et de la protection antiaérienne, augmentation des réserves de munitions et de carburant, commandes de blindés et d’avions, aménagement de l’infrastructure aérienne, etc.
L’effort militaire de la Suisse au cours des deux dernières années s’inscrit dans le tableau comparatif ci-dessous :
Années |
Budget général de la Confédération |
Budget militaire |
1957 1958 |
2 006 939 000 F 2 267 430 000 F |
706 454 000 F 896 969 000 F |
d’où il ressort que de 1957 à 1958, le budget général est en augmentation de 13 %, tandis que les dépenses militaires sont majorées de 27 %. Mais la Confédération helvétique peut supporter facilement un pareil effort, ses recettes budgétaires s’élevant pour 1958 à 2 715 M de francs suisses, soit un excédent de plus de 447 M.
Si le problème des crédits militaires n’a fait en Suisse l’objet d’aucune controverse sérieuse, par contre celui de la modernisation de la doctrine stratégique souleva des polémiques passionnées. La politique militaire suisse était, jusqu’en 1945, une politique de « dissuasion » ; elle affirmait que le « Réduit alpin » serait défendu jusqu’au bout. La meilleure preuve de son efficacité est qu’elle a découragé toute velléité des belligérants, au cours des deux guerres mondiales, de passer par son territoire pour des manœuvres de débordement.
Mais les progrès réalisés dans le domaine des armements et des équipements ont fait apparaître cette conception de la défense nationale comme périmée. Une commission a été créée dont les études se cristallisent autour de deux thèses :
– Défense de la frontière organisée en position fortifiée, la sécurité des arrières contre les opérations aéroportées étant confiée à de grandes unités mécaniques.
– Défense spatiale, répartie sur l’ensemble du pays sous la forme de points forts tenus par des groupements mixtes de campagne, prêts à contre-attaquer l’ennemi d’où qu’il vienne. La ligne frontalière servirait alors de « protection vers l’avant ».
Le Conseil fédéral paraît avoir opté pour la première thèse.
Ces discussions semblent avoir élevé le débat : du plan strictement militaire, le problème de la défense est passé sur le plan national. La « Commission de Défense nationale » (1), dont le rôle est d’assumer en temps de paix les fonctions dévolues en temps de guerre au Général commandant en chef, est maintenue dans ses prérogatives. Mais le Conseil fédéral vient de décider la création d’un Conseil de Défense nationale composé de personnalités militaires et civiles dont la mission est d’étudier au profit de toutes les instances militaires la coopération entre les secteurs civil et militaire, plus particulièrement sur le plan économique.
Le problème de l’aviation apparaît également sous un nouveau jour. Le principe de posséder une aviation de chasse pour faire respecter la neutralité reste valable ; mais il est évident que la Suisse, entraînée dans un conflit, ne dispose pas pour le moment des moyens nécessaires pour assurer la défense de son ciel.
Certes, comme le déclarait M. le Conseiller fédéral Chauvet : « Lorsque nous disons que nous voulons une armée efficace, nous ne songeons pas à l’armée qui pourrait gagner une guerre, mais à celle qui pourrait porter à l’adversaire des coups assez durs pour l’obliger à apprécier la situation, à compter avec elle et à constater que la bataille suisse serait coûteuse pour lui… Nous avons besoin, avec le concours ou sous la protection d’une aviation plus forte, de formations capables de se disperser, puis de se regrouper en un minimum de temps : de se disperser pour offrir des objectifs difficilement saisissables, susceptibles de changer fréquemment de stationnement ; de se regrouper pour agir par contre-attaques, par coups de boutoir sur les forces assaillantes. »
Enfin, tout récemment, à l’exemple de certaines petites nations comme la Suède, le Gouvernement suisse, malgré une forte opposition de certains milieux politiques, a pris position en faveur de l’étude, sur le plan national, des armes atomiques tactiques.
Ainsi, la défense nationale et l’armée helvétique sont en pleine évolution. La Suisse va-t-elle modifier son organisation militaire et renoncer, partiellement du moins, devant les exigences de la technique, à son système des milices ? En présence des charges énormes que représente une défense nationale efficace, abandonnera-t-elle son isolement traditionnel, de moins en moins conforme à sa position géographique et à ses intérêts économiques ? Nous le saurons bientôt. ♦
(1) Composition : Chef du département militaire fédéral, Chef d’état-major général, Chef de l’instruction de l’Armée, les quatre Commandants de corps d’armée et, à titre consultatif, le Chef d’armes de l’aviation.