Politique et diplomatie - « L’arabisme des patries », et le dialogue franco-algérien
SELON toute vraisemblance, l’automne 1961 s’inscrira dans l’histoire de l’après-guerre comme un de ces moments où les situations se transforment et les équilibres sont rompus. Cela est particulièrement vrai du monde arabe. Et il est permis de penser que la question algérienne peut trouver elle-même dans ce climat sa solution.
Dans un article qu’a publié la « Revue de Défense Nationale » (novembre 1961, pp. 1782 et suivantes), M. Pierre Rondot a retracé les circonstances et les causes de la révolution, somme toute pacifique, intervenue en Syrie le 28 septembre dernier. Les conséquences de l’éclatement de la R.A.U. sont aujourd’hui plus claires. D’abord les conséquences sur l’orientation du régime nassérien. La fin de la R.A.U. semble avoir eu deux résultats : en premier lieu, d’avoir, au moins provisoirement, mis un terme au rêve caressé par Nasser d’être le démiurge de « la nation arabe ». Le « Raïs » va désormais se préoccuper plus directement, sinon exclusivement, des affaires intérieures égyptiennes. En second lieu, la solution des problèmes intérieures égyptiens va être recherchée, plus énergiquement encore que précédemment, dans la « voie socialiste ». Il en est résulté dans l’immédiat la mise au pas des dirigeants des anciens partis de la période pré-nassérienne qui auraient pu être tentés d’exploiter à leur profit le choc psychologique ressenti par l’opinion égyptienne du fait de la révolte syrienne. D’autre part, la politique de nationalisation, voire de confiscation des entreprises considérées comme capitalistes est accentuée. S’étant trouvé dans l’incapacité de remporter la victoire dans la lutte un instant envisagée par lui contre la « réaction » syrienne, Nasser est ainsi logiquement conduit à redoubler ses attaques contre la « réaction » égyptienne. Cette attitude pourrait avoir pour effet d’assimiler plus nettement l’Égypte nassérienne et la Yougoslavie titiste. En effet, les deux pays ne seraient plus seulement unis par leur commune adhésion, en politique extérieure, à un neutralisme dynamique — c’est-à-dire favorable aux vues soviétiques — mais encore, dans les affaires intérieures, par une socialisation et une centralisation très poussée. L’Égypte rejoindrait ainsi Cuba, la Guinée, et quelques autres, à la pointe extrême des « non-engagés ». Cette politique qui constituerait de la part du Caire un réflexe de défense contre les répercussions possibles en Égypte même du putsch syrien aurait pour Nasser l’avantage de faire apparaître l’Égypte comme le chef de file des progressistes arabes, puisque la cause du panarabisme semble pour longtemps compromise. Cette opération serait facilitée par les difficultés auxquelles l’Irak de Kassem a dû faire face en même temps que l’Égypte de Nasser. La révolte kurde, dont nul ne peut dire si elle est entièrement réduite, a manifesté l’instabilité du régime irakien dans le même temps qu’était ébranlé le régime égyptien. Kassem doit faire face aux mêmes problèmes intérieurs que Nasser. Malgré l’aide économique et technique importante (aide soviétique et aide occidentale) dont il bénéficie, l’Irak, pas plus que l’Égypte, n’a pu résoudre ses difficultés internes, politiques autant qu’économiques. Mais, quant aux réformes économiques, Kassem, auprès de Nasser, fait figure de modéré.
La Syrie, enfin, dont l’Égypte aurait pu craindre qu’elle ne saisisse le drapeau de la révolution économique et sociale, s’engage plutôt dans la voie du parlementarisme et du libéralisme économique. Souhaitons-lui bonne chance dans cette voie.
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