Outre-mer - Accords monétaires franco-maliens - Gabon : réforme constitutionnelle et élections
Accords monétaires franco-maliens.
Le 30 juin 1962, l’Assemblée nationale de la République du Mali adoptait deux projets de loi créant l’un le « franc malien », l’autre la « Banque de la République du Mali » et entraînant le retrait du Mali de « l’Union monétaire ouest-africaine ». Dès le 3 juillet, le franc malien, dont la valeur était analogue à celle du franc CFA, avait seul cours légal sur le territoire de la République du Mali. L’agence de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest cessait toute activité et l’échange des francs CFA était effectué au pair par les soins des autorités maliennes. L’importation et l’exportation des nouveaux signes monétaires, émis par la Banque du Mali, étaient interdites. À la suite de cette décision les États de l’Union monétaire ouest-africaine et la France arrêtaient en commun des mesures tendant à interdire l’entrée sur leur territoire des billets de banque précédemment en circulation au Mali ainsi que la sortie de francs CFA vers le Mali. Un accord technique, conclu le 21 juillet 1962 à Paris, entre les représentants de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest et ceux de l’Institut d’émission malien liquidait la situation résultant de la sortie du Mali de l’Union monétaire ouest-africaine. Le 20 juillet, l’arrestation par la police, sur le marché de Bamako, de trafiquants de francs CFA provoquait de sérieux incidents. Des manifestations de commerçants furent réprimées par la police et l’armée. Parmi les personnes arrêtées figuraient notamment MM. Fily Dabo Sissoko et Hamadoun Dicko, anciens membres du gouvernement français et dirigeants de l’ancien parti soudanais progressiste. Ceux-ci devaient disparaître tragiquement en 1964. Comme l’admettent actuellement les dirigeants de Bamako, avec un réalisme méritoire, le Mali connaît depuis lors de sévères difficultés liées à la création de cette nouvelle monnaie et à certaines expériences socialistes mal adaptées aux besoins de l’économie locale telles que les sociétés d’État. Une partie très importante du commerce au Mali est devenue clandestine : des commerçants ambulants, les Dioulas, franchissent les frontières avec du bétail et reviennent des pays voisins notamment de Côte d’Ivoire avec des produits manufacturés d’importation, des tissus, des noix de cola, etc.. Ce commerce parallèle rapporte aux commerçants qui le pratiquent des bénéfices sérieux mais ne procure aucune ressource au budget malien, La situation financière et monétaire du pays s’aggravant d’année en année, les autorités maliennes résolurent, en 1965, de reprendre le dialogue avec la France.
En février 1965 une mission malienne dirigée par les ministres Ousmane Ba et Seydou Badian Couyate et dont faisait partie M. Louis Nègre, gouverneur de la banque du Mali, engagea avec le gouvernement français des négociations qui n’aboutirent pas, le gouvernement de Bamako n’ayant pas à l’époque accepté les termes du mémorandum français. Le point sur lequel les négociations avaient buté concernait l’adhésion à l’Union monétaire ouest-africaine en acceptant sans réserve les règles et la discipline de celle-ci. Les rapports entre les deux pays sont restés toutefois excellents. Après un délai de réflexion de plus d’un an, le gouvernement malien faisait connaître au gouvernement français qu’il était disposé à engager de nouvelles conversations sur les questions monétaires et financières. Le gouvernement français acceptait après avoir consulté les États-membres de l’Union monétaire ouest-africaine. Après un certain nombre de contacts, les deux gouvernements ont jugé préférable d’entourer les négociations d’une grande discrétion. Le 26 octobre 1966, la délégation malienne conduite par M. Jean-Marie Koné, ministre d’État, et M. Louis Nègre devenu ministre des Finances, arrivait à Paris et procédait avec les experts français du ministère des Affaires étrangères, du secrétariat d’État aux Affaires étrangères chargé de la Coopération et du ministère de l’Économie et des Finances à un très large échange de vues. Les experts français voulaient notamment établir un inventaire aussi précis que possible de la situation économique et financière du Mali permettant d’évaluer l’ampleur des mesures nécessaires pour favoriser la réintégration de ce pays dans la zone franc.
Le 29 novembre, M. Charbonnel, secrétaire d’État aux Affaires étrangères chargé de la Coopération, et M. Nègre paraphaient un aide-mémoire définissant dans ses grandes lignes le contenu d’un éventuel accord : le Mali y affirme sa volonté d’adhérer librement à l’Union monétaire ouest-africaine d’une part et d’autre part la France accepte d’aménager ses relations monétaires avec le Mali dans le cadre d’un accord bilatéral transitoire de durée limitée. Une période préparatoire d’un an est prévue pendant laquelle le Mali procédera aux adaptations nécessaires de ses structures économiques, financières et bancaires. Au terme de cette période, si les mesures de redressement sont jugées satisfaisantes par les deux gouvernements, un accord bilatéral entrera en vigueur.
Les négociations officielles ont débuté le 16 janvier 1967. Des commissions d’experts se sont penchées sur les problèmes de la balance des paiements, des devises, de la consolidation de la dette extérieure, sur les mesures de redressement financier souhaitables, etc. Pour la dette extérieure, il appartiendra au Mali de négocier un moratoire avec ses créanciers. La France pour sa part a accepté un étalement du versement des échéances dues au titre des avances du Trésor et de la dette postale. En ce qui concerne la situation intérieure, il appartient au gouvernement malien de la redresser par les procédés budgétaires classiques. Dans cet esprit fut rédigé un texte prévoyant l’adhésion du Mali à l’Union monétaire ouest-africaine au terme de deux périodes de durée inégale, comme il avait été prévu dans l’aide-mémoire. La deuxième période, dite de coopération bilatérale, sera marquée par la réforme de l’Institut d’émission malien qui appliquera les mêmes règles d’émission que la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest. La République française assurera ensuite la libre convertibilité de la monnaie malienne. L’accord a été signé le 15 février 1967 par MM. Jean Charbonnel, secrétaire d’État aux Affaires étrangères chargé de la Coopération et Jean-Marie Koné, ministre d’État du Mali.
Le succès de l’opération dépendra en fin de compte et bien évidemment des mesures que le gouvernement malien devra prendre pendant la période préparatoire. Les réformes qu’il devra mettre en œuvre impliquent en effet un renversement complet de son orientation et de ses options économiques. En tout état de cause, la France ne pourra aider le Mali que dans la mesure où il se sera aidé lui-même, c’est-à-dire où il aura mis un terme à son endettement extérieur, équilibré son budget, réformé ou supprimé ses sociétés d’État, et libéralisé le commerce. Les États francophones de l’Afrique de l’Ouest, à l’exception naturellement de la Guinée, suivent les efforts du gouvernement malien pour réintégrer la zone franc, avec intérêt et le plus souvent avec sympathie.
Gabon : réforme constitutionnelle et élections
Depuis quelques mois, alors que le président Léon Mba est en traitement à l’hôpital Claude-Bernard à Paris, d’importants événements politiques se déroulent au Gabon. Le 13 novembre 1966, M. Paul-Marie Yembit est remplacé à son poste de vice-président du Gouvernement par M. Albert Bongo qui occupait les fonctions de ministre délégué à la Présidence, chargé de l’information et de la défense nationale. Puis le président de la Cour suprême, M. Bigmann, est remplacé par le prince Félix. M. Anguilé, ministre de l’Économie nationale, démissionne. MM. Pierre Avaro, ministre de la Fonction publique et de la Coopération technique, Vincent de Paul Nyonda, ministre d’État chargé des Affaires culturelles, et Léonard Badinga, ministre des Finances, quittent le Gouvernement. M. Jean Rémy Ayoune, précédemment secrétaire général du gouvernement, devient ministre de la Fonction publique. En même temps, M. Jean Marc Ekoh, opposant notoire, fait sa rentrée au Commissariat au plan. Le Conseil municipal de Libreville est dissous et le maire-délégué incarcéré. La Constitution est révisée. Des élections anticipées ont lieu.
Le Gabon a eu une première Constitution en 1959, celle de la Communauté, puis une seconde après la proclamation de l’indépendance en 1960. À l’époque, deux projets virent le jour, l’un de type parlementaire préconisé par M. Paul Gondjo, président de l’Assemblée nationale, l’autre de type présidentiel proposé par le président Léon Mba. Le président de la République, après avoir fait arrêter M. Gondjo et un certain nombre de députés accusés de complot contre la Sûreté de l’État, procéda à la dissolution de l’Assemblée, à de nouvelles élections et fit adopter une Constitution de type présidentiel le 21 février 1961. C’est cette Constitution qui vient d’être amendée par un vote unanime de l’Assemblée Nationale. La révision porte sur deux points :
1° sur le plan de l’exécutif, il est créé un poste de vice-président de la République. Jusqu’alors il n’existait qu’un vice-président du Gouvernement nommé et révoqué par le président de la République. Désormais un vice-président de la République, élu en même temps que le Président pour sept ans et au suffrage universel, recevra par délégation une partie des pouvoirs du président, le suppléera en cas d’absence, d’empêchements, le remplacera automatiquement en cas de vacance, et continuera éventuellement le mandat de l’ancien Président jusqu’à son terme.
2° Sur le plan parlementaire, le nombre des députés est fixé à 47, leur mandat précédemment de 5 ans est porté à 7 ans comme celui du président et du vice-président et ils seront désormais élus en même temps qu’eux. Le président, « en cas de nécessité », a le pouvoir de dissoudre l’Assemblée. Ces cas de nécessité ne sont pas précisés.
Commentant sur les antennes de Radio-Gabon les modifications apportées à la Constitution, M. Albert Bongo, Vice-Président du Gouvernement a notamment déclaré : « Les propositions intervenant après six années d’expérience de la loi constitutionnelle s’inspirent de deux ordres de considérations, d’ailleurs étroitement liés, l’un de stabilité politique, l’autre de progrès économique conditionné par le précédent ». « Il importe en effet, a-t-il ajouté, que soit assuré non seulement d’une manière permanente mais encore avec toute l’autorité nécessaire la continuité du pouvoir exécutif ; il convenait dès lors de combler une lacune des textes afin de pallier les conséquences de tout empêchement du président de la République. Cette continuité, a poursuivi le vice-président, cette permanence de la politique suivie sont les conditions et le gage de notre développement économique et social ». Pour mettre en œuvre cette réforme, le président Léon Mba a annoncé au cours d’une émission enregistrée à Paris et retransmise par la Radiodiffusion Télévision gabonaise qu’il demandait le renouvellement anticipé de son mandat : « Je dois, a-t-il dit, me présenter dans l’intérêt de la nation tout entière, car je veux que demeurent la continuité et la stabilité gouvernementales, gages de l’avenir de notre pays. Je me représente aux suffrages des Gabonais avec M. Albert Bongo, actuellement vice-président du Gouvernement, mais, qui, comme le veut la nouvelle Constitution, deviendra vice-président de la République, élu en même temps que moi. Je n’abandonnerai pas pour autant mes fonctions de Chef de l’État, qu’on le sache bien. M. Bongo ne fera rien, ne prendra aucune décision en mon absence qui n’ait été connue et approuvée par moi, comme il l’a d’ailleurs fait jusqu’à présent avec beaucoup de compétence et de dévouement ». Le Président a conclu en mettant l’accent sur la nécessité pour tous les Gabonais de poursuivre en commun le même but : mettre le Gabon au rang des nations développées.
M. Albert Bongo est né le 30 décembre 1935 à Lewai (région de Franceville). Il a effectué en France une partie de ses études, a été fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères, est devenu en 1962 Directeur-adjoint, puis, fin 1965, ministre délégué à la Présidence, chargé de la défense nationale et de la coordination, et enfin, en novembre 1966, vice-président du Gouvernement, chargé de la coordination, de la défense nationale, du plan, de l’information et du tourisme. Le 17 février dernier, M. Maurice Delauney, Ambassadeur de France au Gabon disait à M. Bongo en lui remettant la cravate de Commandeur de l’Ordre du Mérite : « Jeune encore, en effet, mais formé, depuis de nombreuses années au contact d’un homme dont chacun se plaît à reconnaître le sens de l’efficacité et de l’opportunité politique, vous avez été investi des responsabilités les plus lourdes. En vous accordant sa plus totale confiance, le président Léon Mba a su reconnaître en vous l’intelligence, la force de caractère, le courage et la lucidité qui font les véritables hommes d’État. Il est donc normal que l’amitié qui unit, depuis plus d’un siècle, nos deux pays se trouve concrétisée par un geste qui affirme la confiance que nous vous témoignons, persuadés que, sur le chemin des honneurs, la manifestation de ce jour ne constitue qu’une étape… ». Le président Léon Mba achevant sa convalescence à Paris, c’est M. Bongo qui a ouvert la campagne électorale à Libreville. Celle-ci s’est déroulée dans le calme. Il n’y avait pour les postes à pourvoir, président, vice-président et députés qu’une seule liste de candidats ; elle a donc été élue sans difficultés.