Ho Chi Minh
Un inédit de haute tenue dans une collection de poche, sur un sujet particulièrement intéressant et actuel, c’est ainsi que l’on pourrait donner une première définition de cet ouvrage. Une autre pourrait être : une analyse lucide d’une sorte de fascination exercée pur le héros sur l’auteur. Ho Chi Minh, que tant de contemporains ont vu, auquel ils ont parlé, est une figure déjà légendaire.
« Le surprenant personnage qui préside aux destinées de la République démocratique vietnamienne », cet homme qui semble avoir été un vieillard vénérable depuis son âge mûr, ce caractère attachant et déroutant, ce comédien dont les actes les plus étudiés contiennent une part de sincérité et d’émotion, ce sage qui vit dans la violence, cet aide-cuisinier devenu chef d’État, ce familier des littératures extrême-orientale, française, américaine, Jean Lacouture en donne une définition particulièrement fine et que seuls pourront goûter sans doute ceux qui connaissent bien l’Asie. Il est, écrit l’auteur, « plus Chinois que Vietnamien », l’esprit vietnamien se prêtant mal à cette composition constante et savamment combinée d’un caractère ; communiste, certes, mais pas tout à fait comme les autres. Nationaliste, assurément, ou plutôt profondément patriote, mais ouvert à un cosmopolitisme indiscutable, Ho Chi Minh a l’art de faire fusionner très simplement en lui les contradictions les plus grandes. Parfaitement pauvre en esprit, comme s’il s’appliquait les préceptes de l’Évangile, et par suite capable de se faire aimer des plus pauvres et de se faire respecter des plus puissants, Ho Chi Minh apparaît comme une sorte de saint médiéval implanté dans un siècle de ferveur révolutionnaire avec une rouerie volontairement naïve, une bonhomie complaisante qui sait parfaitement où elle va, une simplicité d’expression qui se réfère aux idées les plus arrêtées.
Le tableau est digne du personnage. Jean Lacouture le peint avec une sorte d’étonnement respectueux, en utilisant ses souvenirs personnels et ceux de tous les journalistes, auteurs, hommes d’État, diplomates qui ont eu des contacts avec « l’oncle Ho ». Si ce n’est pas encore de l’histoire – et il serait impossible que l’on puisse en écrire à propos d’un vivant si directement mêlé à l’actualité – c’est de la chronique de très haute tenue ; elle aborde évidemment les sujets les plus brûlants : notre propre action en Indochine, celle des Américains, des Chinois, des Russes. Car ce qui est le plus frappant peut-être, c’est que Ho Chi Minh n’a pratiquement pas de vie privée ; son existence est tissée dans les événements de son pays et leur imprime fortement sa marque.
Il fallait un grand talent pour faire apparaître l’homme dans l’événement. Ce livre mérite d’être lu et constitue certainement la meilleure introduction qui soit aux affaires du Vietnam et du Sud-Est asiatique.