Annuaire 1974
La parution chaque année au mois de juin de l’Annuaire du SIPRI (Institut International de Stockholm pour la Recherche de la Paix) consacré aux armements dans le monde et aux efforts de désarmement, constitue un événement notable, dans la mesure où les renseignements qu’il contient possèdent le plus haut degré de certitude qu’on puisse s’attendre à trouver dans une publication ouverte. La grande compétence scientifique et l’indépendance des membres de l’Institut, financé par le Parlement suédois, garantissent en outre le sérieux et l’objectivité des informations qui ne sont d’ailleurs plus mises en doute dans aucun pays.
L’annuaire 1974 qui fait état des événements observés en 1973, et en particulier de la guerre du Proche-Orient, de l’accord de cessez-le-feu au Vietnam et de leurs conséquences, apparaît comme particulièrement important et instructif. On trouvera ci-dessous des indications sur le contenu de l’ouvrage et un résumé des principaux points qu’il met en lumière.
Plan de l’annuaire
L’annuaire 1974 comprend quatre parties. La première est consacrée aux événements majeurs survenus dans le domaine militaire, avec des chapitres séparés pour les leçons à tirer de la guerre du Kippour (6-24 octobre 1973) et pour les développements consécutifs au cessez-le-feu en Indochine. Cette partie traite aussi des réductions mutuelles des forces en Europe, fait le point du débat toujours en cours sur la dissuasion nucléaire et étudie le développement des armes stratégiques nucléaires depuis SALT I.
La deuxième partie décrit la dissémination des armements de par le monde en 1973, avec des précisions sur les dépenses militaires des différents pays, sur les ressources qu’ils consacrent à la recherche et au développement, sur le commerce d’armes avec le Tiers-Monde et sur les armements nouveaux à l’étude ou en production de série.
La troisième partie concerne les progrès réalisés en matière de technologie particulièrement dans les domaines de satellites de reconnaissance, de la guerre sous-marine et de l’automatisation du champ de bataille. La dernière partie analyse les efforts de contrôle des armements et de désarmement faits en 1973, ainsi que l’application pratique des accords déjà en vigueur sur ces sujets.
La dissémination des armements dans le monde
Le niveau des dépenses d’armement dans le monde est resté à peu près stable depuis 1969 et se situe (en monnaie constante) aux environs de 200 milliards de dollars par an. Mais la course aux armements nouveaux – de plus en plus destructeurs – ne s’est pas ralentie pour autant.
Ce sont les puissances de l’Otan et du Pacte de Varsovie qui continuent à tenir la tête du peloton en étant responsables de 80 % des dépenses d’armement mondiales. Les conversations engagées en 1973 pour réduire d’un commun accord le fardeau qui pèse sur l’Europe n’ont fait jusqu’à maintenant que très peu de progrès.
Ce sont toujours les États-Unis, l’Union soviétique, le Royaume-Uni et la France qui dominent le marché d’exportation d’armes. La plupart des pays importateurs s’efforcent d’ailleurs – et réussissent – à développer parallèlement leurs propres industries d’armement.
Les pays du Tiers-Monde ont acheté en 1973 pour 1,9 Md environ d’armements lourds. Mais le Vietnam a été remplacé en tête de ces importateurs par Israël, l’Égypte et la Syrie. Les importations de l’Amérique latine se sont de leur côté accrues de 25 %.
On observe une tendance de plus en plus nette des pays fournisseurs à offrir à l’exportation leurs armes les plus récentes. On peut noter dans ce sens la décision spectaculaire des États-Unis de fournir à l’Iran leur Grumman F-14A Tomcat et aussi l’intention prêtée à l’URSS de livrer des MiG-25 Foxbat à la Syrie. Dans les deux cas, il ne se serait écoulé que deux ans entre le lancement dans leur pays d’origine de la fabrication de ces avions de combat, les plus sophistiqués du monde, et leur vente à l’étranger.
Le Proche-Orient
La guerre du Kippour a été caractérisée par une consommation quantitativement et qualitativement sans précédent d’armements modernes. Près de 5 000 chars de combat et 2 000 avions se trouvèrent engagés. Les pertes, grâce principalement à l’emploi massif de missiles antichars (1) et de fusées sol-air (2), furent considérables. On a calculé qu’au cours des trois semaines de combat, un avion était abattu toutes les heures et un char détruit toutes les quinze minutes.
Mais la demande d’armes dans cette région du monde ne s’est pas limitée au champ de bataille. Les pays riverains du golfe Persique (surtout l’Iran et l’Arabie saoudite) ont accru dans d’énormes proportions (23 % par an au cours des dix dernières années) les armements qu’ils estimaient nécessaires pour garantir, les uns contre les autres et contre les non-arabes, la liberté de navigation dans ce couloir privilégié du trafic pétrolier. Les commandes en cours en 1973 pour le seul Iran, portaient sur 800 chars lourds Chieftain, 250 chars légers Scorpion, plus de 300 avions de combat McDonnell Douglas F-4E Phantom II et Northrop F-5E Freedom Fighter et plus de 500 hélicoptères (sans parler des F-14A).
Si on prend comme référence la part du PIB consacrée à des dépenses militaires, le Proche-Orient est ainsi devenu la région la plus militarisée du monde.
Indochine
Le cessez-le-feu au Vietnam suivi du retrait des forces militaires des États-Unis est bien entendu un des événements majeurs de l’année. La période d’intervention active dans la guerre laisse cependant à la disposition des États-Unis et de leurs alliés un immense arsenal d’armes nouvelles utilisables dans les conflits limités et qui ont pu être soigneusement et abondamment expérimentées en « vraie grandeur ». Parmi celles-ci, on peut citer les nouveaux types de munitions antipersonnel à fragmentation (dont l’obus à balles en plastique), les obus à gaz et herbicides, les armes portatives à très grande vitesse de tir, les hélicoptères armés de canons et certains missiles sol-air, sans oublier toute une nouvelle gamme très sophistiquée de capteurs et de moyens de transmissions ultramodernes. On a pu à leur propos parler d’une véritable automatisation du champ de bataille. Il est hors de doute que le développement et la production de toutes ces armes ne seront pas abandonnés. On les voit d’ores et déjà apparaître dans d’autres pays.
Stratégie et tactique nucléaires
La théorie de la contre-force reste à l’honneur aux États-Unis. Ils se déclarent en mesure de lancer des « attaques chirurgicales » qui, grâce à leur « incisivité », ne détruiraient que la partie strictement militaire des objectifs, épargnant les populations civiles. Cela suppose des têtes à faible chargement nucléaire, guidées sur l’objectif avec beaucoup de précision. Le déploiement des missiles correspondants serait en cours. Si une telle orientation peut à première vue paraître favorable, il y a lieu de remarquer qu’elle accentue en fait le danger d’une confrontation nucléaire entre les États-Unis et l’URSS en faisant croire qu’une simple miniaturisation des armes pourrait éviter un recours à la dissuasion.
De même, sur le plan tactique, il n’apparaît pas que la miniaturisation soit susceptible d’écarter les dangers d’escalade.
Sous-marins stratégiques et lutte anti-sous-marine
Des ressources considérables ont été consacrées à explorer les possibilités technologiques de la guerre anti-sous-marine et à développer les systèmes d’armes correspondants. Néanmoins le sous-marin nucléaire lanceur d’engins reste toujours l’arme la moins vulnérable des forces nucléaires stratégiques des États-Unis, comme de l’URSS. On ne peut en effet espérer détruire tous les sous-marins atomiques ennemis dans les premières heures d’un conflit : la détection, la poursuite et l’attaque d’une flotte tant soit peu importante de ces sous-marins restent en dehors des possibilités actuelles. On peut tout au plus essayer de limiter le danger, en rapprochant le déploiement des côtes amies pour le mettre hors de portée des moyens de lutte anti-sous-marine de l’ennemi. De tels redéploiements sont en cours aussi bien en Union soviétique qu’aux États-Unis. Mais ils ne seront efficaces que dans la mesure où les deux antagonistes s’entendront pour limiter le nombre de leurs sous-marins nucléaires et réduire leurs moyens de lutte anti-sous-marine. Pour le moment peu de progrès ont été réalisés dans ce sens.
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Il ne faudrait pas que le caractère général et quelque peu didactique des conclusions résumées ci-dessus fasse se méprendre sur la véritable nature de l’annuaire du SIPRI. C’est un ouvrage essentiellement concret et précis, où les chiffres, les tableaux, les statistiques, les courbes, les notices techniques, la technologie et les documents originaux tiennent la plus grande place. Il constitue avant tout un outil de travail et n’est pas destiné à étayer une thèse ou à alimenter la polémique. ♦
(1) Sagger et Snapper russes, TOW et Maverick américains.
(2) SA-2 Guideline, SA-3 Goa et SA-6 Gainful, suivant les altitudes d’attaque.